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a surgi comme tous les autres genres de connaissances de l’action et de la réaction réciproques de l’esprit humain et de ce qui n’est pas lui. Elle a revêtu les formes intellectuelles du fétichisme ou du polythéisme, du théisme ou de l’athéisme, de la superstition ou du rationalisme. Je n’ai rien à démêler avec ces diverses formes, avec les mérites ou les démérites relatifs qu’elles présentent; mais il est indispensable au sujet que je traite de dire que, si la religion d’aujourd’hui diffère de celle du passé, c’est parce que la théologie est devenue plus scientifique, c’est qu’elle n’a pas renoncé seulement aux idoles de bois et de pierre, et qu’elle commence à sentir la nécessité de briser aussi les idoles fabriquées avec des livres, des traditions et des toiles d’araignée subtilement filées par les églises; elle éprouve aussi le besoin de nourrir les plus nobles et les plus humaines de nos émotions en allant adorer, le plus souvent en silence, à l’autel de l’inconnu et de l’inconnaissable. »

De telles déclarations suffisent pour que nous comprenions la mauvaise humeur des partis religieux traditionnels en présence des théories popularisées par les « Sermons laïques. » Sans doute M. Huxley ne s’attaque jamais directement aux dogmes théologiques; mais qui ne pressent les ravages que son point de vue, une fois admis, porte fatalement dans le champ des croyances traditionnelles? Le miracle, cette parenthèse de la continuité, cette interpolation du texte naturel, se voit banni du monde et de l’histoire au nom de la science, et c’est surtout de miracles que vit la piété vulgaire, miracle de la création, miracle de la chute, miracle de l’incarnation et de la rédemption, miracles sans nombre préparant ou accomplissant les autres. Lors même qu’un peuple protestant oppose un scepticisme invincible aux miracles contemporains, ne voulant ajouter foi qu’à ceux dont la Bible garantit pour lui l’authenticité, il est encore imbu de l’idée que l’action divine se reconnaît surtout à ceci, qu’elle interrompt le cours naturel, continu, des choses. Les grandes calamités publiques sont encore à ses yeux des « visitations extraordinaires » du courroux divin. Il faut l’apaiser, s’humilier, demander grâce, et il y a quelque chose qui sent l’impiété dans cette prétention des savans qui veulent ramener des fléaux tels que la peste, la disette ou l’inondation au jeu indifférent de certaines forces impersonnelles. Puis comment faire cadrer avec n’importe quelle orthodoxie ces théories d’après lesquelles l’homme serait une branche détachée du grand tronc de l’animalité, et devrait s’habituer à se considérer comme cousin des gorilles? Il est des gens que cette idée, sans qu’on puisse toujours deviner pour quelle cause, a le don d’exaspérer au plus haut degré, ils sont nombreux en Angleterre comme ailleurs, et il est rare qu’ils sachent se résigner tranquillement