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chacune d’elles supposait un acte immédiat de la puissance créatrice. Comme ce point de vue cadrait bien avec les termes du premier récit de la Genèse, où il est dit que Dieu créa successivement les plantes et les animaux, « chacun selon son espèce ! » Et ainsi de suite. La science moderne ne semblait née que pour rendre hommage à la foi biblique de l’Angleterre. On ne se fait pas d’idée de la quantité de livres anglais qui parurent de 1830 environ à 1850, et même plus près de nous encore, pour mettre en lumière cette réjouissante démonstration de l’autorité des Écritures. Le catholicisme anglais lui-même se distingua dans cette œuvre d’apologie sacrée, et l’un des ouvrages les plus curieux, les plus ingénieux de ce genre, est celui du feu cardinal Wiseman sur les rapports de la science et de la religion révélée.

Il y avait pourtant un grand danger dans cette méthode, qui fondait l’autorité religieuse de la Bible sur la conformité de l’Écriture avec la science moderne. Le raisonnement était celui-ci : les auteurs sacrés vivaient, à des époques où les sciences n’étaient pas même nées, ils étaient eux-mêmes tout autre chose que des savans au sens moderne de ce mot ; donc l’inspiration surnaturelle seule a pu diriger leur pensée et leur plume de manière à leur faire proclamer des vérités alors ignorées de tous, et que la science contemporaine, armée des ressources de deux civilisations, d’instrumens perfectionnés et des résultats d’une observation séculaire, a eu tant de peine à découvrir. — Mais qui ne voit que la thèse pouvait se retourner tout aussi bien en l’honneur de la science ? Ne pouvait-on pas dire sans s’écarter d’un seul pas du terrain choisi : Il faut que cette science moderne soit bien réelle, bien sûre dans ses procédés, bien solide dans ses résultats, pour que, par la simple vertu de l’observation et du calcul, elle soit arrivée à conquérir des vérités qu’une inspiration miraculeuse pouvait seule autrefois communiquer à quelques rares élus ? En d’autres termes, le noyau, l’élément résistant de ces deux raisonnemens parallèles, c’était le grand mérite, la suprématie même de la science. Que l’on en vînt à croire à la Bible en se fondant sur la science ou bien à s’incliner respectueusement devant une science assez forte pour découvrir par des procédés naturels les réalités miraculeusement révélées dans la Bible, c’était dans tous les cas habituer les esprits croyans ou ébranlés à une déférence confiante devant les arrêts des sciences naturelles.

Que devait-il arriver par conséquent, si dans leur marche en avant, au lieu de se prêter tant bien que mal à des confirmations au fond plus ingénieuses que solides des récits de la Bible, les sciences aboutissaient à un antagonisme patent qu’aucun artifice