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M. Raoul Duval, qui est pour sûr un hardi manœuvrier. A chaque article, c’étaient des amendemens et des scrutins nouveaux pour retarder au moins le dénoûment, pour gagner du temps et se réserver l’imprévu. Discours, interruptions, excitations ironiques, objurgations, saillies amères, tous les procédés de l’éloquence ont été épuisés dans ce débat, où légitimistes et bonapartistes ont fait ce qu’ils ont pu pour piquer au vif ceux qu’ils voyaient disposés à voter les lois constitutionnelles.

Il y a eu en vérité des déploiemens de zèle touchant pour bien des choses qui n’étaient point en péril. — Eh quoi ! disait-on avec componction, est-ce ainsi qu’on traite la souveraineté nationale? Est-ce que la gauche pourrait se désavouer au point d’abandonner le suffrage universel en votant un sénat qui ne serait pas l’élu direct du peuple? Et M. le maréchal de Mac-Mahon, ce soldat loyal et trompé, le centre droit le livre manifestement à tous les hasards révolutionnaires, à la démagogie, dont il n’est plus que le prisonnier! Et le régime parlementaire, qu’en fait-on? On ne discute pas, on ne répond même pas à M. de Castellane ou à M. Raudot. La discussion est étranglée, assure M. de Larochefoucauld-Bisaccia. Ce n’est plus qu’un régime de muets! Malheureusement ceux qui parlaient ainsi, légitimistes ou bonapartistes, oubliaient que le régime parlementaire n’était nullement intéressé dans cette affaire, qu’on peut certes voter sans scrupule des lois sur lesquelles on discute à perte de vue depuis deux ans, et que depuis plus d’un demi-siècle tous les systèmes constitutionnels possibles ont été exposés en France, si bien que M. de Bisaccia lui-même ne pourrait rien dire de nouveau. Ils n’ont pas vu surtout, ces vaillans défenseurs de tous les droits, que leurs conseils et leurs observations manquaient d’autorité. S’ils avaient admis les lois constitutionnelles, s’ils n’avaient eu d’autre souci que de les améliorer, ils auraient pu se faire écouter; mais ils repoussaient ces lois, la plupart n’en voulaient à aucun prix ; ils ne songeaient, on le voyait bien, qu’à les rendre impossibles, à rompre par quelque motion de hasard l’alliance qui allait les faire triompher. Leur idéal était hier, comme il est encore aujourd’hui, de laisser la France dans un provisoire indéfini. Dès lors tout ce qu’ils pouvaient dire était inutile, et l’acharnement même qu’ils mettaient à poursuivre ces malheureuses lois, à en montrer les lacunes et les défauts, ne pouvait que confirmer dans leurs résolutions ceux qui étaient décidés à les sanctionner d’un vote silencieux. La tactique était trop visible pour réussir. On savait trop bien que, si un seul de ces amendemens jetés dans la discussion eût été admis, ceux-là mêmes qui les proposaient se seraient dérobés au vote définitif de l’organisation constitutionnelle tout entière, et le tour eût été joué. On était trop bien averti pour se laisser prendre à ce stratagème presque puéril, pour s’arrêter devant une critique toujours aisée d’un ensemble de dispositions acceptées par transaction.