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qu’il avait attrapé le ver de Guinée et que ses pieds étaient horriblement enflés. La famine régnait dans le pays, et il vivotait avec les maigres restes de nos repas ; néanmoins avec un peu de patience il eût fini par se guérir et eût pu partir. Cependant au bout de quelques jours on vit arriver son vieux père, qui venait le chercher, c’est-à-dire qui se mit en devoir de l’emporter sur ses épaules, lui un gars de six pieds de haut, et il en avait pour quinze ou seize heures de chemin. Les indigènes ne voyaient là rien que de très naturel. Un trait assez caractéristique des Dinkas, c’est que les hommes vont tout nus ; aussi appellent-ils « femmes » les Bongos, les Mittous, les Niams-niams, qui portent au moins une espèce de tablier.

Après les Dinkas, M. Schweinfurth visita encore d’autres peuplades agricoles, les Diours, les Bongos, les Mittous, qui habitent plus à l’est, sur les bords de la rivière Rohl. C’est parmi les Bongos qu’il séjourna le plus longtemps, assez pour apprendre leur langue et se familiariser avec leurs mœurs. Ce petit peuple, qui est visiblement destiné à disparaître, offre encore par ses traits généraux, son langage, ses coutumes caractéristiques, un vrai type de nation africaine. Les traitans nubiens ont marqué là l’empreinte de leur passage; à force d’enlever les garçons et les filles, ils ont presque dépeuplé le pays, d’où d’ailleurs une grande partie de la population a émigré chez les Dinkas et vers les frontières des Niams-niams pour échapper à l’esclavage. On y trouve à peine aujourd’hui onze habitans par mille carré. Les Bongos se distinguent des Dinkas à première vue ; plus vigoureux et plus solidement charpentés que ces derniers, ils sont d’un brun rouge comme tous les naturels du plateau ferrugineux, tandis que les Dinkas sont noirs comme le sol d’alluvion qu’ils occupent. En outre la forme du crâne est absolument différente chez les deux peuples. Les femmes des Bongos sont remarquables par un embonpoint souvent monstrueux : on en rencontre qui pèsent au moins trois cents livres, et qui rappellent tout à fait la Vénus hottentote de Cuvier. Comme vêtement, elles se contentent d’une ceinture de feuilles qu’on va renouveler tous les matins à la forêt.

Tout au contraire des Dinkas, peuple pasteur par excellence, les Bongos montrent une complète indifférence pour le bétail ; ils sont exclusivement agriculteurs. Les plantes, cultivées dans cette région de l’Afrique sont d’abord diverses graminées, parmi lesquelles la plus répandue est le sorgho ; mais toutes ces céréales ont ceci de commun, qu’il est à peu près impossible d’en obtenir une farine propre à faire du pain de bonne qualité. Si la pâte est convenablement levée avant d’être mise au four, elle s’y dessèche et s’émiette; si la fermentation n’est pas suffisante, on a une masse compacte et indigeste : c’est le pain des naturels. En faisant cuire la même pâte dans une poêle, on prépare encore