Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle le déborderait, elle le noierait. Grâce à sa volonté persévérante, elle le sert, elle se plie à tous ses besoins. L’image de la Hollande, le symbole qu’elle devrait mettre dans ses armes, ce sont ces moulins à vent sans cesse occupés à puiser l’eau dans les prairies submergées et à la verser dans les canaux qui la conduisent à la mer. Ces ailes qui tournent lentement, mais sans repos, c’est quelque chose qui ressemble fort à l’activité de ce peuple patient et laborieux.

C’est le samedi que nous arrivons à La Haye; partout les servantes sont occupées, avec leurs grands seaux de bois cerclés d’anneaux d’un cuivre luisant, à fourbir la poignée de la sonnette, les boutons et les plaques des portes, les degrés de l’étroit et raide escalier, espèce d’échelle qui conduit aux étages supérieurs. A quels nettoyages forcenés on doit en ce moment se livrer dans toutes les maisons de Leyde à notre intention!

J’avais retrouvé en route un de mes collègues, M. Würtz, le plus aimable et le plus gai des chimistes. Ensemble nous visitons le musée, nous admirons la Leçon d’anatomie, puis nous courons jusqu’à la plage de Schéweningue saluer la mer et ces dunes, ces grèves dont se sont si souvent inspirés Ruysdael, Van den Velde, et les autres maîtres hollandais. Au-dessus de cette côte grise et de cette mer jaune, un de ces ciels qu’ils excellent à peindre, un grand ciel étoffé et varié, où s’étagent sur divers plans des nuages qui vont du blanc au noir, et entre lesquels se glissent et filtrent par places quelques rayons de soleil.

Après cette promenade, un dîner et une soirée chez M. Target mettaient la mission française en rapport avec le ministre de l’intérieur, M. Heemskerk, de qui dépend ici l’instruction publique, avec le président du collège des curateurs, M. Gevers van Endegeest, le conservateur du musée de La Haye, M. de Jonge, et d’autres personnes occupant un rang distingué, soit dans l’état, soit dans les lettres. Par sa présence à cette réception, par les paroles aimables qu’il nous adresse, l’héritier de la couronne, son altesse royale le prince d’Orange, veut bien marquer aux délégués français le plaisir qu’il éprouve à les voir en Hollande. L’accueil et le langage de tous ceux qui se pressent dans le salon de M. Target nous confirment ces gracieuses assurances. On est unanime à nous témoigner une bienveillance courtoise et sérieuse, sans exagération ni verbiage. L’abord est froid ou du moins réservé; mais pour peu que l’on s’y prête, les figures s’éclairent, et la conversation devient bien vite toute cordiale. Les paroles et l’accent, tout respire ici la sincérité. C’est là l’impression que nous recevons dès notre première rencontre avec la société hollandaise. Les jours suivans, — je suis sûr