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Tiara, qui avait été professeur de grec à Douai et à Louvain; mais il fallait du temps pour que les élèves arrivassent. La véritable inauguration et l’ouverture des cours n’eurent lieu qu’en juin. Une harangue en latin, qui nous a été conservée[1], fut alors prononcée par un Parisien, Louis Capelle, ministre du saint Évangile. Un Rouennais, Guillaume Feugères, avait été appelé avec Capelle pour fonder à Leyde l’enseignement de la théologie. Ces deux personnages, peu connus aujourd’hui, méritent pourtant que leurs noms soient rappelés; ils ouvrent la série des hommes distingués, dont quelques-uns furent des esprits supérieurs, que la France prêta à l’université de Leyde. Cette dette, la Hollande l’a payée avec usure pendant le cours des deux derniers siècles : à combien de nobles intelligences n’a-t-elle pas accordé et garanti ce que leur refusait l’intolérance française, le droit de chercher librement la vérité, de professer leur foi, de dire et d’imprimer leur pensée sans avoir à craindre le bourreau, le geôlier, ou tout au moins le censeur! Après les proscrits du calvinisme, elle a vu venir ceux du jansénisme; Descartes y avait trouvé une sécurité que ne lui offrait point son propre pays; Bayle y précéda Voltaire. Celui-ci a cru devoir reconnaître l’hospitalité de la Hollande par un vers que ses habitans ont encore sur le cœur.

De la fondation même de l’université date une institution qui a eu les plus heureux résultats. On n’avait pu songer à remettre aux professeurs le soin de gouverner eux-mêmes l’université et de pourvoir à ce que l’on peut appeler ses besoins physiques et moraux; plusieurs d’entre eux étaient étrangers et sans racines dans le pays, tous étaient censés devoir s’absorber dans leur enseignement et leurs travaux scientifiques. D’autre part, dans ce petit état, encore dans une situation si précaire et dont les différentes parties n’étaient encore reliées que par un lien assez lâche, presque pas d’administration centrale, rien qui ressemblât à un ministère de l’instruction publique. Voici comment la difficulté fut résolue. L’université fut placée sous la bienveillante tutelle d’hommes considérables par leur naissance, leur fortune ou leur situation dans l’état. Ceux-ci, — on les nomma les curateurs, — formèrent un collège, une sorte de commission permanente, qui de nos jours encore administre la dotation et la fortune de l’université, et désigne les professeurs au choix du souverain. Ils n’interviennent pas dans l’ordre des études et des examens, que règle, dans les limites fixées aujourd’hui

  1. C’est par ce discours que commence le volume déjà cité de Meursius. Cette pièce, tout en nous paraissant parfois pédantesque, ne manque pourtant pas de souffle et d’élévation. Capelle a bien senti les bienfaits de l’instruction ; il semble avoir comme deviné ce que la Hollande devrait à l’université de Leyde.