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redoublée par la musique, devenait trop vive, le cantique fut suspendu tout d’un coup, la multitude entière pleurait.

Les citoyens de Leyde eurent là une joie qui, trois siècles plus tard, à Paris, devait nous être refusée. Nous n’avons pas, hélas! à fêter tous les ans, comme nos amis de Leyde, le jour glorieux de la délivrance. Là-bas, une coutume touchante rajeunit chaque année les souvenirs de cette matinée, et fait connaître aux générations nouvelles cette noble page de l’histoire nationale. Voici ce que l’on raconte. Le 30 octobre 1574, aux premières blancheurs de l’aube, quand se réveilla la ville morne et désolée, les gardiens du rempart furent surpris, comme l’étaient de leur côté les marins zélandais, de n’entendre aucun bruit, aucun murmure dans les lignes espagnoles. Un enfant se hasarda jusqu’à la plus proche des redoutes; il gravit sans bruit le talus, il revint bientôt en criant que l’ennemi avait décampé. On refusa de le croire; il retourna, il revint en rapportant une marmite pleine de légumes bouillis. Les soldats l’avaient abandonnée dans leur fuite sur les cendres encore fumantes du foyer. Depuis lors chaque automne, le 30 octobre, dans toutes les maisons de Leyde, on sert sur la table au dîner un plat de ces mêmes légumes, de ceux que contenait la marmite de l’enfant, premier indice certain de libération et de salut. Cette année, à propos du troisième centenaire de la délivrance, les autorités municipales ont fait distribuer aux indigens de la ville d’abondantes rations de ces carottes et de ces choux historiques. Dans ce pays fidèle au culte de son passé, il n’est point ainsi jusqu’à l’aumône qui ne serve à entretenir le respect et l’amour de la patrie.

En 1574, au milieu des transports et de l’attendrissement où cette délivrance inattendue avait jeté toutes les âmes, on eut jusqu’à des sujets de rire. Les lettrés nourris, comme Dousa, du plus pur miel des abeilles romaines, s’égayèrent aux dépens du général espagnol et de son latin. Dans la chambre de Valdez, sur sa table, on lut ces mots, écrits en toute hâte au moment du départ : Vale, civitas, valete, castelli parvi, qui relicli estis propter aquam et non per vim inimicorum. Pour tirer une dernière vengeance de l’ennemi qui les avait tant fait souffrir, les Hollandais n’ont pas laissé périr la mémoire de ses solécismes.

Dès le lendemain, Guillaume arrivait pour féliciter les bourgeois de Leyde, et en même temps le vent, commençant à souiller de l’est, rejetait les eaux vers la mer. Au bout de peu de jours, la terre reparut, et les digues, promptement réparées, rendirent à ces campagnes leur aspect ordinaire. La ville, en retour de ses sacrifices, obtint d’abord du prince une foire annuelle de dix jours libre de