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mais c’est en vain que nous cherchons la station; elle a payé à l’hiver son tribut de décombres et jonche le sol de ses débris. Un notable du pays nous tire d’embarras en nous ouvrant sa maison et nous offre au plus juste prix, dans une chambre dénuée de cheminée, une hospitalité que tout l’empressement du propriétaire ne nous empêche pas de trouver glaciale. La moindre flambée de fagots ferait bien mieux notre affaire.

6 avril. — Le lendemain matin, nous attendons vainement le lever du soleil. Un brouillard opaque emplit le ciel et ne laisse arriver jusqu’à nous qu’un jour blafard. La brume se dissipe peu à peu, mais la neige commence à tomber drue et fine, comme si elle sortait d’un crible. Toute trace de sentier a disparu. La montagne se dresse devant nous, drapée dans son linceul mouvant, que le vent dérange et chiffonne à son gré. La position ne laisse pas d’être critique. Nos muletiers, peu soucieux de risquer la vie de leurs mulets sur ces pentes glissantes, bordées de ravins et de précipices, essaient de nous effrayer en exagérant les périls qui nous attendent, et proposent de différer notre départ jusqu’au retour du beau temps. L’idée de rester bloqués plusieurs jours entre quatre murs de terre dans un désœuvrement qui finit à la longue par être une souffrance suffirait pour donner du cœur au plus poltron : nous poussons en avant; toutefois, pour diminuer autant que possible les chances d’accidens, nous réglons minutieusement l’ordre de notre caravane. En tête de la colonne marche le postillon, chargé de sonder les neiges, interrogeant les moindres plis de terrain, et d’après ces simples indices marquant son chemin à travers les sinuosités de la montagne. La lenteur avec laquelle il procède nous prouve que, malgré sa parfaite connaissance des localités, il n’a qu’une demi-confiance dans la sûreté de son diagnostic. Puis viennent les mulets, immédiatement suivis par leurs maîtres respectifs. A voir la circonspection avec laquelle bêtes et gens posent leurs pieds dans les empreintes déjà tracées, il est clair que cette route enfarinée ne leur dit rien qui vaille. Instruits par l’expérience d’autrui, nous formons l’arrière-garde, serrant de près le reste de la caravane pour ne pas laisser aux rafales qui nous aveuglent le temps d’effacer devant nous ce sentier improvisé.

Les incidens ne manquent pas. Tantôt c’est un mulet qui s’abat et que les efforts réunis de nos gens ont mille peines à remettre sur ses jambes, tantôt c’est le postillon qui roule avec sa monture dans un trou où il reste presque enseveli. Alors il faut rebrousser chemin et faire d’interminables circuits pour chercher sur quelque autre point un passage moins périlleux. La journée se consume tout entière dans ces marches et contre-marches, qui nous épuisent sans