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l’insuccès de sa diplomatie. Rien ne s’opposait plus à notre départ. Malgré les instances qu’on voulut bien faire pour nous retenir, il fut décidé que nous quitterions Recht le lendemain. « À. quelle heure comptez-vous vous mettre en route ? nous dit notre hôte quand il vit que notre résolution était bien arrêtée. — Après le déjeuner ? — Eh bien ! alors commandez vos bêtes pour six heures du matin ; vous aurez de la chance, si elles sont ici à midi ! »

L’événement prouva que le consul connaissait son monde. À midi et demi, la caravane commençait à faire son apparition. Elle se composait de dix mulets pour nos bagages et de trois chevaux pour nos personnes. Autant de mulets, autant de muletiers ; l’un ne va pas sans l’autre. Les premiers d’ailleurs figurent seuls sur la note ; le conducteur passe par-dessus le marché.

On compte une trentaine de farsuks de Recht à Cazbin. Au sortir de la ville, une assez belle chaussée, large de 5 à mètres, serpente le long d’un torrent, où pullulent les tortues. La route se maintient en bon état pendant les dix premiers farsuks et, avec un peu d’entretien, serait très aisément carrossable jusqu’au pied de l’Elbourz. Praticable néanmoins jusque-là, le chemin cesse tout à coup à l’approche des montagnes pour faire place à un sentier pierreux qui n’est bien souvent que le lit des torrens.

L’article 2 de la concession signée en juillet 1872 avec le baron Reuter stipulait l’établissement d’un chemin de fer de Recht à Téhéran. Pendant quelques mois, on put croire que cette partie du programme allait recevoir son exécution. Les ingénieurs s’étaient mis à la besogne, le défrichement allait grand train, les terrassemens étaient commencés. Une sorte d’inauguration de la future ligne avait même lieu à Recht, en septembre 1873, en présence des consuls d’Angleterre et de Russie. Deux mois après, M. Reuter apprenait que son contrat était déchiré[1], et les ingénieurs suspendaient leurs opérations. Le voyageur qui sort de Recht par la route de Cazbin peut voir, à un quart de lieue environ de la ville, la trace des travaux. Une percée de 1 kilomètre s’étend au plus épais de la forêt. Des traverses de bois pesées de distance en distance semblent attendre encore les rails, qui ne viendront probablement, jamais. À qui sont les premiers torts ? Le procès est toujours pendant devant l’opinion ; nous ne nous chargerons pas de le trancher. Nous voulons croire que le gouvernement persan, en rompant son contrat, a

  1. La Russie vient d’en ramasser les morceaux. Un contrat passe entre le gouvernement persan et une compagnie russe pour la construction d’une voie ferrée, de Tauris à Djulfa (sur l’Arave), a été signé récemment à Téhéran. La future ligne se souderait au tronçon du Caucase, prolonge de Titlis à la frontière persane. Ce nouveau projet aura-t-il le sort du premier ? C’est ce que l’avenir nous apprendra.