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de son bon vouloir et de sa ferme volonté de doubler à tout prix les étapes sur la route du progrès. On sait ce qui allait sortir de cette conception grandiose : parturiunt montes... Cette fois la montagne en travail ne devait même pas accoucher d’une souris. Ce misérable avortement passait du reste à peu près inaperçu; l’attention de l’Europe était ailleurs. De l’engouement à l’indifférence, la route est moins longue qu’on ne le croit généralement.


I.

Les Européens qui seraient curieux d’aller rendre au shah dans sa capitale la visite qu’ils en ont reçue en 1873 ont le choix entre trois routes différentes : celle de Tauris par Constantinople, Trébizonde et Erzeroum, — celle du Caucase par Poti, Tiflis, Bakou et la Caspienne, — enfin celle d’Astrakan par Berlin, Smolensk et Tzaritzine. La ligne droite ayant cessé, depuis l’invention des locomotives, d’être le plus court chemin d’un point à un autre, la première de ces routes est à la fois la plus directe, la plus longue et incontestablement la plus ennuyeuse. Prise encore par le commerce, qui y trouve son compte grâce au bon marché des transports par caravanes, elle est à peu près désertée par les voyageurs : 400 lieues de cheval! il y a en effet de quoi faire réfléchir le sportsman le plus fanatique. Les lecteurs de la Revue savent à quoi s’en tenir sur la route de Bakou[1]. Quoique rendue plus accessible depuis l’ouverture du chemin de fer de Poti à Tiflis, elle n’est exempte, surtout en hiver, ni de difficultés ni de fatigues. Des trois voies, celle d’Astrakan est sans comparaison la plus simple, la plus rapide et la moins coûteuse. Qu’on en juge : six journées de chemin de fer suffisent au voyageur, parti de Paris par l’express de Berlin, pour gagner Tzaritzine. Un service régulier de bateaux à vapeur, établi sur le Volga, met Tzaritzine à vingt-quatre heures d’Astrakan. Comptons de six à sept jours, y compris les relâches, pour la traversée de la Caspienne, ajoutons-en quatre pour le trajet d’Enzeli a Téhéran (il est entendu que notre voyageur est bon cavalier et n’a pas peur de ses peines), c’est un total de dix-sept à dix-huit jours, et, pour qui sait ne pas s’embarrasser de bagages inutiles, une dépense de 1,000 francs à 1,500 francs. Il y a quarante ans, il en coûtait plus de temps et d’argent pour se rendre de Paris à Rome.

Le malheur est que les choses n’en vont pas ainsi en toute saison. En réalité, il y a peu de pays au monde aussi isolés que la Perse et d’un abord plus difficile. Enchaînée par les glaces dès le

  1. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1871, un Voyage d’hiver au Caucase.