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jusqu’ici offrent cette lacune. M. Bensly a trouvé un manuscrit qui présente l’ouvrage complet et qui suit pas à pas le texte des versions orientales. Nous verrons bientôt clairement le motif qui amena au moyen âge cette singulière suppression, contre laquelle proteste un seul témoin. Grâce au manuscrit en question, la version latine nous est rendue dans son intégrité, et M. Bensly pourra nous en donner une reproduction qui remplacera presque le texte grec, dont la perte est probablement irréparable. On pourra lire alors d’une manière tout à fait plane ce curieux livre, qui, à l’heure qu’il est, ne peut encore être étudié sans quelque travail[1].


III.

Une des lois fondamentales de toute apocalypse est l’attribution de l’ouvrage à un sage des temps antiques. Le nom choisi par le voyant de l’an 97 fut celui d’Esdras. Ce scribe commençait à devenir fort célèbre. On lui attribuait un rôle exagéré dans la reconstitution des livres sacrés[2]. Le voyant, pour son but, avait besoin d’ailleurs d’un personnage qui eût été contemporain d’une situation du peuple juif analogue à celle qu’on traversait. Selon toutes les vraisemblances, l’ouvrage fut composé à Rome[3]. L’auteur était juif et pharisien[4], non chrétien. C’est par une altération manifeste qu’on voit figurer dans le texte latin (VII, 28) le nom de Jésus. Toutes les versions orientales portent à cet endroit le mot « Christ » ou « Messie, » et non le mot « Jésus. » Il n’y a pas une trace dans l’ensemble du livre des idées qui étaient à cette époque le caractère propre du christianisme ; on y trouve au contraire plus d’un trait anti-chrétien. L’auteur savait certainement le dialecte sémitique que l’on parlait en Palestine; nourri des prophètes[5], il a imprimé à son livre un cachet vraiment hébreu; il

  1. L’ouvrage de M. Bensly paraîtra bientôt. C’est grâce à une bienveillante communication de l’auteur que nous en connaissons les résultats. En attendant l’édition de M. Bensly, on peut se servir de l’édition de M. Volkmar (Tubingen 1863), ou de celle de M. Hilgenfeld (Messias Judœorum, Leipzig 1869).
  2. IV Esdr., XIV, 30 et suiv.
  3. Ch. Ier, 1 et suiv. en tenant compte de l’emploi du mot de « Babylone » pour « Rome, « trait commun à toutes les apocalypses.
  4. Cf. ch. IX, 37; XII, 7.
  5. Les imitations que l’on a voulu voir de l’Apocalypse de Jean dans l’Apocalypse d’Esdras sont douteuses. Beaucoup de ressemblances viennent du modèle qui a servi aux deux visions, le livre de Daniel, ou d’images qui étaient communes à tout le monde. Voyez cependant ci-après ce qui concerne l’ange Jérémiel. L’auteur a sur la prédestination et le péché originel des idées analogues à celles de saint Paul, sans qu’il faille conclure qu’il ait lu les épîtres de Paul. Au contraire les coïncidences avec l’Apocalypse de Baruch (publiée par Ceriani, Monum. sacra et prof., t. Ier, fasc. 2, et t. V, fasc. 2) se remarquent à chaque page. Selon nous, l’Apocalypse de Baruch est postérieure à celle d’Esdras; c’est Pseudo-Baruch qui est l’imitateur.