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le plus solennel peut-être de l’histoire du monde fut celui où un tribun religieux s’éleva et osa faire parler ainsi Jéhovah à la face des prêtres : « Vos holocaustes de béliers et de graisse de veau me font mal au cœur, j’en ai la nausée. Je ne vous écoute pas, vos mains sont pleines de sang. Purifiez-vous, cessez de mal faire, secourez l’opprimé, respectez le droit de l’orphelin, défendez la veuve, et venez sacrifier alors, si vous voulez[1]. »

Ce grand esprit de religion dura près de trois cents ans avec un éclat incomparable. La captivité de Babylone, loin de l’éteindre, ne fit en un sens que l’exciter. Zacharie, vers 520, clôt la liste des hommes extraordinaires qui créèrent dans le monde la religion selon l’esprit, et furent en un sens éloigné les fondateurs du christianisme. Le génie prophétique d’Israël semble subir ensuite une éclipse de trois cent cinquante ans. Israël se repose sous les Achéménides; le fanatisme intense qui est au fond du cœur de ce peuple semble dormir; les chefs du peuple, résignés sur les abus du monde, qui révoltaient si fort les nabis, s’abandonnent et s’oublient jusqu’à se laisser aller à douter du sérieux de la vie. Un Israélite écrit un livre charmant, l’Ecclésiaste, pour arriver à cette conclusion, que tout est frivole, et que le dernier mot de la sagesse est de jouir en paix, au sein d’une heureuse médiocrité, du bien qu’on a gagné par son travail.

La persécution d’Antiochus Épiphane changea entièrement le cours des choses. La pratique exacte de la loi devait, selon les promesses divines, faire le bonheur de la vie, et voilà que ceux qui l’observaient fidèlement étaient traqués, ruinés, exposés aux supplices. Que devenait Dieu? comment concilier sa justice, sa fidélité à sa parole avec ce qui se passait? Dans cette crise terrible de la foi du peuple, des hommes se trouvèrent pour faire monter jusqu’au ciel le cri passionné d’Israël. Tout ce qui était au fond de cette insondable conscience juive se réveilla; l’ardente protestation contre les injustices du monde réel, qui était l’esprit même des vieux prophètes, fut entendue de nouveau. De la sorte se produisit une série d’écrits, inférieurs à ceux des anciens sous le rapport littéraire, mais dont les conséquences ont été plus décisives encore pour l’histoire de l’humanité. Deux traits essentiels caractérisent cette nouvelle école d’inspirés. La forme de visions symboliques, déjà employée par Ézéchiel, fut celle qu’ils choisirent. Une autre règle qu’ils adoptèrent fut de déguiser leur personnalité sous des noms supposés. La vieille littérature et la vieille histoire étaient devenues l’objet d’un si profond respect, que personne n’aurait osé concevoir l’idée d’inscrire

  1. Isaïe, chap. Ier.