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« Mon cher Dickens, nous sommes enchantés de votre retour. Voici, thank God, Devonshire-Place ressuscité. Venez luncheoner demain à une heure, et amenez votre brave ami Forster. » C’est en ces termes que le fameux comte d’Orsay s’adressait au romancier quelques jours après l’arrivée de celui-ci, et Dickens, qui n’avait pas encore beaucoup étudié notre langue, en savait cependant assez pour comprendre ce français familier. Devonshire-Terrace était en effet ressuscité, et avec le maître de la maison la joie et l’entrain y étaient rentrés; mais, après l’année de loisir qu’il s’était donnée, il fallait que Dickens se remît au travail,. et le travail avait toujours été pour lui plus pénible peut-être que pour tout autre. On ne s’en douterait pas en le lisant; mais ces dialogues si vifs qu’ils semblent improvisés, ces descriptions si animées qu’on les dirait coulées d’un premier jet, ce style si impétueux, si capricieux, qui reproduit le mouvement de la parole, tout cela représentait un effort extrême. Des semaines entières se passaient sans que le fécond romancier pût écrire une page, sans qu’il pût parvenir à « chauffer sa machine. » Jamais à cet égard il ne s’était senti moins en veine que quand il revint d’Italie. Il fallait que la crise fût bien aiguë, car il eut l’idée de publier un journal et d’entrer dans la politique. Jusqu’alors en effet, il s’était tenu à l’écart de cette perfide enchanteresse, non par indifférence, mais parce qu’il sentait d’instinct que sa voie et sa puissance étaient ailleurs. Il se disait radical, et le retour des tories aux affaires lui avait même inspiré, en 1841, quelques satires rimées, dont une entre autres sur le bon vieux temps du torysme anglais ne manque pas d’une certaine vivacité. « Par Jupiter, écrivait-il alors de Broadstairs, comme je deviens radical ! Je me fortifie chaque jour davantage dans les vrais principes. Je ne sais pas si c’est l’effet des bains de mer ou non, mais c’est ainsi. » Cependant il n’avait jamais fait une étude particulière de ces « principes; » il en était même venu peu à peu à désespérer de voir les hommes d’état, à quelque parti qu’ils appartinssent, trouver la solution des grands problèmes politiques et sociaux. Lorsqu’un cordonnier de Southampton et un ramoneur de Windsor avaient fondé, avec l’aide d’un pair d’Angleterre, la première «école déguenillée, » il avait accompagné ces braves gens de ses vœux les plus ardens, et avait même offert d’écrire à ce sujet un article pour la Revue d’Edimbourg, car il s’était fait l’avocat des pauvres et prenait sa tâche toujours plus à cœur, tout en se gardant avec soin d’exciter les classes de la société les unes contre les autres. « Ah ! disait-il un jour, associant au souvenir des merveilles de Venise, dont il avait encore l’esprit tout plein, son grand désir d’écrire pour le peuple qui travaille et qui souffre quelque