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où l’énergie bien connue du poète pourrait ne pas être inutile; mais, quoi qu’il imaginât en ce genre, à propos d’une lecture ou de quelque petite scène dont il avait été témoin, ou de quelque incident domestique, la marque personnelle se retrouvait toujours. De tout ce qui l’entourait, il tirait un élément de drame burlesque ou un motif pour les développemens les moins attendus. Les fragmens de lettres que M. Forster a cités sont à cet égard bien propres à rendre plus nette l’image du romancier, en nous le montrant tel qu’il était dans la réalité de la vie, soit qu’il s’occupât de faire une enquête sur ses cheminées, dont la fumée incommodait ses voisins, soit qu’il envoyât au peintre Maclise une relation gravement circonstanciée sur la mort de son corbeau favori. Ce corbeau tient une grande place dans Barnaby Rudge, que Dickens écrivait alors, et dont pour la première fois il empruntait le fond à l’histoire du XVIIIe siècle. La tentative était audacieuse, car le roman historique exige certaines qualités qu’il n’avait pas et qui n’étaient guère compatibles avec son extrême personnalité. Il s’en tira pourtant non sans honneur, et, si le plan de l’ouvrage est faible, les descriptions qu’il a faites des troubles populaires connus sous le nom de no popery riots sont tracées d’une main vigoureuse. Ainsi, là même où il était le moins original, Dickens possédait encore le secret d’intéresser et d’émouvoir en se renouvelant sans cesse.


III.

Il y avait quatre ans que le nom de Boz était dans toutes les bouches et ses romans dans toutes les mains lorsque l’occasion de faire son premier apprentissage de la popularité s’offrit à l’écrivain. Jusqu’alors il ne s’était pas livré au public et avait vécu assez retiré, ou du moins sans sortir du petit cercle d’amis, d’artistes et de littérateurs dont il était devenu l’âme et le charme. Ce fut l’Écosse qui l’invita à goûter aux honneurs publics sous la forme d’un grand dîner que devait présider lord Jeffrey lui-même. Ce devait être en quelque sorte la consécration solennelle de la jeune renommée du romancier dans la cité littéraire par excellence, et celui qui, dans Pickwick et ailleurs, avait inspiré à ses héros tant de toasts burlesques, allait être à son tour obligé d’en porter et d’en recevoir pour son propre compte.

Ce fut à cette occasion qu’après avoir reçu du lord prévôt, accompagné du conseil et des magistrats de la ville, la bourgeoisie d’Edimbourg, il parcourut l’Écosse et visita les sites les plus fameux des highlands, sans rien perdre en route de sa bonne humeur malgré les incommodités du voyage et les sévérités du climat.

« Il ne pleut pas toujours en Écosse, disait le docteur Johnson; il