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père de famille établi à demeure dans une prison pour dettes, dont il fait les honneurs aux étrangers et où il vit en patriarche. Le jeune Dickens avait douze ans à peine lorsque son père, qui n’avait pu s’accorder avec ses créanciers, fut arrêté et mis à la Maréchaussée. Il y prit une de ces leçons d’économie domestique dont le souvenir ne se perd pas, et put voir où, avec les meilleures intentions du monde, conduisent le laisser-aller et le désordre.

C’était en vain qu’on avait quitté Portsea pour Chatham et Chatham pour Londres, où Mme Dickens avait tenté de fonder un pensionnat avec l’espoir que les familles riches des Indes ne manqueraient pas d’y envoyer leurs enfans : la plaque de cuivre qui annonçait la nouvelle institution avait bien été posée sur la porte, mais les élèves n’avaient pas paru, et le petit Charles Dickens, qui s’était flatté de pouvoir de cette façon aller lui-même à l’école, sans sortir de la famille, avait vu s’évanouir cette modeste illusion. D’école en effet il n’était plus question pour le futur auteur de Nicholas Nickleby. Cependant il n’était pas sans quelque instruction. Sa mère lui avait enseigné un peu d’anglais, de latin même, il avait dévoré le petit nombre de livres que possédait son père, les romans célèbres tant anglais qu’étrangers, il avait même écrit sa petite tragédie, imitée, et de très près sans doute, des Mille et une Nuits, enfin un de ses cousins le menait quelquefois au théâtre, dont il avait la passion ; mais sa véritable éducation se faisait, sans qu’il y pensât, dans ce pauvre faubourg de Londres où vivait sa famille, et où il recevait ces « leçons de choses a qui allaient donner à ses premiers essais littéraires tant de verve originale et tant de pathétique. C’est là qu’il rencontrait la pauvreté sous toutes ses formes; c’est de là que sont sortis Oliver Twist, le petit malfaiteur innocent, et ses compagnons moins innocens que lui, et le malheureux Jo, cette épave de l’immense cité, qui « circule » depuis qu’il peut tenir sur ses jambes, sans savoir où il va, fuyant devant les agens de police, qui lui ordonnent de marcher. Par un rare bonheur, l’enfant à ce contact dangereux ne perdit ni la fraîcheur de ses sentimens, ni la naïveté de son heureux caractère. « Je sais, disait-il plus tard, que sans la miséricorde de Dieu j’aurais pu facilement, tant on me négligeait, devenir un petit vagabond ou un petit voleur. » On le mit alors dans une fabrique de cirage, avec un salaire de six shillings par semaine. Sa besogne consistait à couvrir les pots de papier huilé et de papier bleu, à les ficeler ensuite proprement et à y coller des étiquettes. C’était ce qu’on avait trouvé de mieux pour un jeune garçon chétif, plein d’intelligence et de sensibilité, et qui était déjà regardé dans son voisinage comme un petit prodige. Dickens s’y trouva si malheureux, si humilié, que plus tard, devenu fameux