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s’occuper ne sont pas seulement compliquées, ce sont des questions coûteuses. Il faut beaucoup d’argent pour continuer la guerre contre les carlistes, il en faudra beaucoup aussi pour conclure un convenio avec eux et désintéresser les principaux partisans du prétendant. Il faut de l’argent pour payer l’arriéré de toutes les pensions et retraites qu’avait supprimées la république et qu’on croit sage de rétablir ; il en faut encore pour satisfaire l’église, qu’il importe de ne pas avoir contre soi et qui se plaint depuis longtemps que les révolutions, après l’avoir dépouillée de ses biens, lui refusent l’indemnité qu’elles lui avaient promise. Le nouveau gouvernement possède sur les administrations qui l’ont précédé un avantage considérable : il inspire beaucoup plus de confiance, et les écus croient à sa durée. Le ministre des finances est parvenu à solder intégralement en janvier les traitemens des fonctionnaires, et il a pu envoyer à l’armée les fonds qu’elle réclamait. Ce premier succès mérite d’être noté, il est propre à donner de l’espoir pour l’avenir.

Ce n’est pas seulement l’arithmétique qui cause de graves embarras au gouvernement espagnol, il a aussi des comptes à régler avec les événemens passés. La révolution de septembre avait donné à l’Espagne une constitution démocratique et presque républicaine, avec laquelle le roi Amédée n’a pu gouverner et dont le roi Alphonse pourrait encore moins s’accommoder ; mais cette constitution a proclamé des principes sur lesquels il est difficile de revenir. Elle a établi dans la Péninsule le suffrage universel et la liberté religieuse. Que fera-t-on de la liberté religieuse ? que fera-t-on du suffrage universel ? Quelle constitution va-t-on donner à l’Espagne, et comment s’y prendront les conseillers du jeune roi pour protéger son trône contre les envahissemens de la démocratie sans soulever une opposition dangereuse, sans fournir des griefs et un cri de guerre communs à tous les mécontens ? On affirme que le président du conseil, M. Canovas del Castillo, n’éprouve aucune inquiétude à cet égard, que ses plans sont arrêtés, et qu’il saura en assurer l’exécution. Ses amis et ses admirateurs, nombreux à Madrid, s’accordent à dire qu’il possède les qualités d’un homme d’état, une vive intelligence des situations, l’art de manier les esprits et les intérêts. Très versé dans l’histoire de son pays, sur laquelle il a publié de remarquables études, il s’est formé de bonne heure à la pratique des affaires dans une administration présidée par le général O’Donnell, dont il possédait la confiance. Il n’a pas seulement la réputation d’un habile orateur, d’un debater accompli ; il a su acquérir cette autorité du caractère qui s’obtient par la rectitude et l’uniformité de la conduite. Il déplora plus que personne les fautes durement expiées de la reine Isabelle, mais il n’a point pris part à la révolution qui l’a renversée. Il avait prédit sa chute, il annonça aussi les malheurs qui attendaient le roi Amédée ; il refusa de le servir, mais ne travailla point contre lui. Dès les