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d’Espagnols qui se plaisaient à croire que l’ère des pronunciamientos était close. Il en faut prendre son parti, l’armée est en Espagne un véritable corps politique, dont l’action est intermittente, mais décisive. Si elle se fait trop souvent l’instrument de coupables ambitions, souvent aussi elle représente la véritable opinion du pays et la fait prévaloir tantôt contre la couronne, tantôt contre le parlement, intervenant tour à tour en faveur de l’ordre ou de la liberté. Il est fâcheux pour l’Espagne que ses soldats se mêlent si volontiers des affaires de l’état ; sa consolation est que, par une exception singulière, ils ne font pas de la politique de caserne. « Ces prétoriens, comme on l’a dit, ont l’esprit parlementaire, ils goûtent la discussion et se plaisent à lui faire sa part dans le gouvernement des choses humaines. » Une fois encore ils viennent d’imposer à leur pays, non une dictature, mais une monarchie modérée et qui a promis d’être libérale. Ce qui est certain, c’est que le pays n’a pas protesté. Après tant de mécomptes et d’avortemens, la restauration a paru le seul remède à un état de trouble, de malaise, de crises incessantes et ruineuses, dont tout le monde était las. L’Espagne a fait fête à Alphonse XII ; sa personne et sa jeunesse ont plu, et tous les témoins oculaires tombent d’accord que les réjouissances publiques qui ont célébré son entrée à Madrid ne ressemblaient point à ces manifestations banales qu’organise une police bien dressée. Il s’est passé ce jour-là quelque chose entre le jeune souverain et le cœur de son peuple. Cependant il ne faut pas se faire d’illusions. La royauté n’est pas un talisman qui opère des miracles, ni un philtre qui guérisse tous les maux, et à l’époque où nous vivons ce sont moins les qualités brillantes qui font besoin aux rois que cet esprit de suite, ce bon sens, cette solidité d’esprit et de caractère par lesquels les particuliers fondent leur fortune. Le roi Alphonse XII se trouve aux prises avec une situation difficile et laborieuse. Les fêtes ne durent qu’un jour, les lampions s’éteignent, les questions restent. Elles sont nombreuses en Espagne et réclament toutes impérieusement une solution. Quand le gouvernement espagnol n’aurait pas d’autres adversaires sur les bras que les carlistes et les insurgés de Cuba, cela serait assez pour lui procurer beaucoup d’occupation et beaucoup de souci ; mais il a encore d’autres difficultés à résoudre. Lord Palmerston disait un jour à la chambre des communes que de l’avis de tous les sages il y avait deux choses sur lesquelles les dieux immortels eux-mêmes n’avaient pas de pouvoir, — les événemens passés et l’arithmétique. Le problème d’arithmétique que doit résoudre en l’an de grâce 1875 un ministre des finances espagnoles est vraiment effrayant. Bien qu’on ait dit que l’Espagne est le seul pays où deux fois deux ne font pas quatre, quand elle-propose un arrangement à ses créanciers, elle est bien obligée d’adopter leur manière de compter. Le malheur est que toutes les questions dont elle est appelée à