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L’Espagne est le pays des occasions, et s’engager à ne plus les chercher n’est pas s’engager à les fuir. On a pu lire il y a quelques jours dans un journal de Madrid, dirigé par M. Sagasta, que, dans l’intérêt de la nouvelle royauté, il convient, qu’il se forme au plus tôt un parti d’opposition constitutionnelle, que le chef de ce parti est désigné d’avance, qu’il n’y a pas à le chercher.

L’Europe assista à la retraite forcée du duc de La Torre avec plus de curiosité que de chagrin ; c’était dans la politique générale une équivoque de moins. La France en particulier s’est crue dispensée de le regretter. Elle n’avait eu guère à se louer de ses procédés à son égard ; son attitude avait paru agressive et provocante, on ne pouvait oublier certain mémorandum, qui ressemblait à un brûlot et que l’empereur d’Allemagne dans un entretien privé avait qualifié d’étrange. L’Europe, un instant émue, s’était demandé avec anxiété ce que signifiait cette incartade inopinée, quel était le secret dessein de ceux qui l’avaient faite, et s’ils avaient résolu de brouiller les cartes. M. le duc Decazes, qui s’entend à calmer les questions, sut dissiper cet émoi par son sang-froid et sa tranquille habileté, tandis que son ambassadeur à Madrid s’appliquait à inspirer au gouvernement espagnol quelques doutes sur l’approbation qu’il pouvait attendre de Berlin pour son zèle intempérant. Au reste, le maréchal et ses ministres se défendaient bien fort des intentions qu’on leur imputait ; ils accusaient le marquis de La Vega d’avoir outrepassé ses instructions, de s’être laissé emporter par son humeur altière et fougueuse ; on le représentait comme un homme qui n’agissait qu’à sa tête et qui, loin de se conformer aux ordres de son gouvernement, n’acceptait pas même ses conseils. On peut admettre que les desseins du duc de La Torre et de son monde étaient moins profonds et moins noirs qu’on n’a été d’abord tenté de le supposer ; il n’en est pas moins vrai que, dans l’intérêt de la paix, il faut se féliciter de ne plus voir à Madrid un de ces gouvernemens nécessiteux et caducs, qui, incapables de se soutenir par eux-mêmes, cherchent au dehors un appui nécessaire, se mettent ainsi à la discrétion d’autrui et se condamnent à une politique de complaisance, à ce point que, quoi qu’ils disent, on les accuse toujours d’être le porte-voix de quelqu’un.

Si le duc de La Torre a été regretté quelque part, ce ne peut être qu’à Berlin, où l’on avait si activement travaillé pour lui. Cependant on n’y a pas pris publiquement son deuil. Les feuilles qui expriment d’ordinaire la pensée de M. de Bismarck se sont empressées d’insinuer qu’en recommandant le maréchal à la bienveillance de tous les gouvernemens de l’Europe, il ne s’était point flatté que son protégé pût se maintenir longtemps, que sa seule préoccupation avait été de préparer en Espagne le rétablissement de l’ordre social et de faire acte de politique