Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux sentimens de confiance, de leur montrer qu’ils ne se trompent pas, comme aussi ce serait un peu à nous de venir en aide à notre diplomatie pour refaire le crédit de la France dans le monde.

C’est par l’énergie persévérante que les peuples éprouvés se refont, et c’est aussi par la prudence, par l’habileté avisée, qu’ils se maintiennent quand ils sont arrivés à se reconquérir eux-mêmes. L’Italie, depuis qu’elle a réussi à être cette « réalité politique et nationale » dont M. Cadorna parlait l’autre jour à Londres, l’Italie a plus d’une fois étonné ses amis et ses ennemis. Le fait est qu’en bien des occasions elle a montré un sens politique, une finesse, dont bien d’autres auraient besoin. Les plus terribles de ces révolutionnaires, dont les légitimistes se font des fantômes, deviennent, quand il le faut, les plus paisibles des hommes. Que ne disait-on pas récemment de tout ce qu’allait produire l’arrivée si souvent annoncée de Garibaldi à Rome ! Il ne pouvait manifestement songer à quitter son île de Caprera que pour se lancer dans quelque nouvelle équipée ! Il allait déchaîner les tempêtes, agiter le parlement où les Transteverins l’ont envoyé, ameuter l’opinion contre le pape, et pour le moins créer les embarras les plus graves au gouvernement, contre lequel il avait fulminé des excommunications ! Eh bien ! Garibaldi est arrivé à Rome. A la vérité, ses électeurs du Transtevère ont quelque peu essayé de dételer sa voiture : il s’est dérobé à ces ovations, et a gagné tranquillement la maison qu’on lui avait préparée. Son premier acte public a été d’aller au parlement et de ne rien dire, si ce n’est pour prêter d’une voix haute et ferme le serment voulu à la monarchie constitutionnelle. Le second acte de Garibaldi a été de s’en aller, ses béquilles aidant, au Quirinal pour rendre visite au roi, qui l’a reçu comme une vieille connaissance en l’aidant à remettre son bonnet sur sa tête, car il est un peu invalide, le vieux lion. Les ministres, à leur tour, n’ont point hésité à l’aller voir : tout s’est passé le mieux du monde. Nul doute que, si le revenant de Caprera eût été traité en ennemi, si on avait commencé par mettre la police sur pied, par vouloir empêcher quelques manifestations sans gravité, tout aurait pu tourner autrement. On n’a rien fait de semblable, et voilà Garibaldi tranquille dans sa villa, oubliant ses excommunications révolutionnaires, ne disant mot contre le pape, prêchant à tous la modération, s’occupant, pour son dernier rêve, de canaliser le Tibre et de fertiliser l’agro romano ! S’il lui faut de l’argent pour son entreprise, on lui en donnera pour sûr. Garibaldi allant au Quirinal rendre hommage au roi Victor-Emmanuel, le vieil Espartero recevant avec attendrissement le jeune roi Alphonse XII à Logroño et lui remettant le cordon de Saint-Ferdinand qu’il a porté ; dans ses campagnes, ce sont là les vicissitudes du temps, et ce n’est pas la plus mauvaise fin des aventures révolutionnaires, quand elles peuvent finir ainsi !


CH. DE MAZADE.