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bien qu’avec des barrages assez rapprochés on obtient un mouillage aussi élevé qu’il est jugé nécessaire ; mais, si ce procédé s’applique sans danger aux rivières tranquilles dont le débit est à peu près constant en toute saison, il n’en est pas de même sur un cours d’eau tel que l’Yonne, qui donne à l’étiage 15 mètres cubes par seconde et 1,000 mètres par les grandes crues. A la suite d’une série de jours pluvieux, la rivière se gonfle, elle déborde en dehors de ses rives, elle roule comme un torrent que rien n’arrête. Un barrage fixe n’y résisterait pas, ou, s’il était assez solide pour ne pas être emporté, il rétrécirait le lit au moment où le lit est déjà trop étroit ; il aggraverait donc les désastres de l’inondation. De grandes masses d’eau en mouvement sont un ennemi brutal contre lequel l’homme lutte rarement avec succès. Aussi put-on douter longtemps que les ingénieurs fussent capables de créer des barrages mobiles susceptibles d’agir en étiage et de s’effacer lorsque surviennent les crues. Le problème paraissait d’autant plus ardu que les crues arrivent souvent à l’improviste, parfois la nuit, que par conséquent l’engin projeté devait être tout à la fois résistant et d’une manœuvre rapide.

Les barrages mobiles sont une invention française, il n’en est point qui fasse plus d’honneur à nos ingénieurs des ponts et chaussées, et, comme il arrive d’habitude, elle fut réalisée presqu’en même temps, par plusieurs personnes, sur des rivières différentes et par des procédés divers dont on a corrigé peu à peu les imperfections primitives. Jadis, avant qu’il n’y eût des écluses sur l’Yonne, les propriétaires de moulins avaient coutume de mettre en travers de leur pertuis une poutre contre laquelle s’appuyaient des aiguilles en bois verticales ; ils obtenaient de cette façon un relèvement du plan d’eau vers l’amont, par conséquent une chute plus considérable. Que si une crue survenait ou si quelque train de bois demandait le passage, ils rendaient la voie libre en basculant la poutre avec les aiguilles qu’elle supportait. Cette application première ne comportait qu’une médiocre hauteur de chute et surtout peu d’ouverture. M. Poirée, vers 1834, essaya d’en étendre le mécanisme à l’un des plus larges pertuis de l’Yonne, avec une chute de 2m,20 en temps d’étiage. L’épreuve ayant réussi, il la renouvela sur la Loire, à Decize, avec de plus grandes dimensions ; puis, lorsqu’on résolut d’améliorer la Basse-Seine et qu’on lui permit d’y appliquer le même système, il ne craignit pas d’ériger en travers du fleuve, sur quelques centaines de mètres, le fragile édifice de poutres et d’aiguilles qui relève de 2 ou 3 mètres le niveau ordinaire de l’eau. Il serait malaisé de décrire plus en détail le barrage à aiguilles de M. Poirée ; mieux vaut visiter les constructions de ce