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nature y a semés, l’industrie des transports s’exerce depuis plusieurs siècles par des moyens divers. Le rôle des ingénieurs était de faire disparaître les obstacles. Voyons comment ils y ont réussi.

Tant que Paris fut une petite ville, les forêts d’alentour, depuis les bois de Boulogne et de Vincennes jusqu’aux forêts de Senart et de Saint-Germain, lui fournirent à courte distance les bois de chauffage et de charpente dont ses habitans avaient besoin ; la population augmentant, il fallut avoir recours aux immenses forêts que contient la partie supérieure du bassin de la Seine. Alors il n’existait pas de bonnes routes, et le transport sur essieux eût au surplus été trop onéreux : l’approvisionnement de la capitale ne pouvait se faire que par voie d’eau ; mais en amont d’Auxerre la navigation, déjà difficile à la descente, était presque impossible à la remonte, bien que les mariniers eussent sans doute à cette époque des bateaux de moindre dimension que ceux de nos jours. Il n’y avait d’autre ressource que de faire flotter les bois, c’est-à-dire de les abandonner au fil de l’eau. Une ordonnance royale de 1415 indique que le flottage amenait déjà des charpentes à Paris au XVe siècle.

Cependant ce mode primitif de transport fluvial exigeait lui-même quelque préparation. Dans la région où gisent les forêts, les ruisseaux ont un lit étroit et sinueux, la pente en est excessive ; un train de bois des dimensions les plus restreintes n’y pourrait rester à flot. On imagina donc le flottage à bûches perdues, qui consiste en ceci : au moyen d’étangs et de réservoirs, on retient dans le haut le plus d’eau possible ; puis, à un jour fixé, on lâche les retenues, ce qui produit dans le ruisseau un courant artificiel. On se hâte alors d’y jeter les bois empilés sur les bords afin qu’ils soient entraînés par ce courant éphémère jusqu’à l’endroit où commence le flottage en train. Un barrage à claire-voie y arrête tous ces bâtons flottans, qui sont retirés de l’eau et reconnus par leurs divers propriétaires, grâce à la marque dont chaque morceau a été frappé. Cette singulière industrie s’exerce en effet par une association entre les marchands de bois de la région, association qui a ses règlemens et ses assemblées générales, et qui paie à frais communs les petits travaux d’appropriation ou d’entretien qu’exige l’état du ruisseau. Le flottage à bûches perdues est usité dans bien des pays : c’est ainsi que les bûcherons de la Forêt-Noire amenaient jadis au Rhin les produits de leur exploitation ; dans le Morvan, il s’opère encore sur tous les ruisseaux et sur l’Yonne en particulier jusqu’auprès de Clamecy.

C’est là que se forment les trains que chacun a vus arriver sur les bas-ports de Paris. Sur l’un des ponts de cette petite ville morvandiote se trouve la statue en bronze de Jean Rouvet, que l’on a