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son de charité). Rien de plus hideux que les environs de la ville : les routes, les champs, étaient couverts de squelettes vivans qui ramassaient du bois pour faire cuire le riz donné par nos agens. Couchés sur les rebords des routes, des centaines de malheureux n’étaient plus que des os recouverts d’un noir parchemin. Avec le temps, presque tous les affamés des environs affluèrent à Balasore, et les choses empirèrent encore. Les morts furent plus nombreuses, l’état de ces nouveaux arrivans était tellement grave qu’il défiait tout secours humain. Le 2 juillet, je quittai Balasore pour retourner à Calcutta. Les pluies avaient rendu les routes impraticables. Les horreurs que je rencontrai sur mon chemin dépassèrent tout ce que j’avais vu jusque-là ; partout, au milieu des boues, des cadavres et des mourants. » — Le révérend A. Miller dépose en ces termes devant la même commission. « Vers la fin de mai, les natifs commencèrent à succomber en nombre assez considérable sous les atteintes de la faim, mais les mois de juin, juillet et août furent les plus fatals. Les natifs mouraient par centaines dans les champs et les endroits retirés, où l’on ne pouvait aller leur porter secours. Si par chance on courait les champs, on ne voyait partout que des chacals et des oiseaux de proie acharnés sur des cadavres. S’il fallait évaluer le nombre des morts, je dirais, pour ne rien exagérer, qu’il a disparu un quart de la population dans le district d’Orissa et un tiers dans celui de Balasore. Dans les autres parties de la province, les pertes ont été moindres. Ces infortunés supportaient leurs mortelles épreuves avec une singulière résignation, Rien, non, rien de ce que j’ai lu ou entendu ne saurait donner une idée des horreurs de cette famine. Je n’ai jamais entendu dire que des Hindous eussent touché à la chair des animaux défendus par leurs lois religieuses : chiens, chats ou vaches ; mais il est certain que quelquefois ils mangèrent leurs enfans morts. Je tiens d’une personne digne de toute confiance qu’elle a vu une mère et son fils en train de dévorer le corps d’un enfant. »

Ces grandes calamités paralysent le commerce et les affaires, et se traduisent par de formidables déficits dans le revenu public. Au point de vue de leurs intérêts non moins qu’au point de vue de l’humanité, l’un des premiers devoirs des maîtres de l’Inde est de combattre ces désastreuses éventualités en propageant les moyens d’irrigation artificielle. La création des grandes voies d’irrigation dans les provinces du nord-ouest remonte aux empereurs mogols : Feroze-Shah fit creuser le premier canal dans les plaines de Hissar pour arroser un terrain de chasse favori. Le canal de Delhi, exécuté sous la direction et sur les plans du grand architecte Ali-Murdan-Khan, illustra le règne du shah Jehan et vivifia pendant près d’un siècle les districts voisins de la capitale de l’em-