Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/878

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en novembre 1853 et furent achevés en cinq mois. Le 24 mars 1854, les deux grands centres communiquèrent par les fils électriques. Le 15 février suivant, la ligne reliait Agra à Madras par Bombay, et s’étendait au nord jusqu’à Attock sur l’Indus. En 1855, le réseau était complété par les lignes de Rangoon à l’est, et de Peshawer au nord, et présentait le magnifique total de 4,000 milles (6,440 kilomètres) de voies télégraphiques. Le docteur sir W. O’Shaughnessy, qui a illustré son nom en élevant dans l’Inde ce beau monument de la science et de la civilisation modernes, eut à combattre tous les obstacles que la nature peut opposer aux travaux de l’homme : jungles empestées exhalant des mois entiers des fièvres pestilentielles et peuplées de grands fauves, montagnes, rocs et précipices, forêts impénétrables, marais et rivières[1]. Le câble qui conduit le fil électrique à travers la rivière la Soane s’étend sur une longueur de 4,800 mètres. Les frais d’établissement des 4,000 milles primitifs s’élevèrent à un peu plus de 5 millions de francs, soit une moyenne d’environ 1,250 francs par mille. Le réseau indien a depuis lors été renforcé de nouvelles lignes locales, surtout par l’inauguration des communications télégraphiques avec l’Europe. On peut affirmer, merveilleux résultat, qu’il n’est pas aujourd’hui d’Européen établi au plus profond de l’empire de Tamerlan et d’Aureng-Zeb qui ne puisse communiquer en quelques jours, sinon en quelques heures, avec la mère-patrie. Il est inutile de s’appesantir sur les avantages politiques que le réseau télégraphique de l’Inde assure à l’Angleterre. Il suffit de rappeler le rôle important que les

  1. « Un trait curieux et triste de la vie de l’Inde, c’est le grand nombre d’êtres humains qui disparaissent sous la dent des bêtes sauvages. Le gouvernement encourage par des primes la destruction de ces dernières ; mais les catastrophes n’en sont pas moins fréquentes dans certains districts. Dans d’autres, où elles sont plus rares, l’on expliquera la chose en disant que, les chèvres étant très nombreuses, les tigres et les loups les préfèrent à la chair humaine. En 1869, 14,529 individus sont morts des suites de morsures de serpens, et 18,078 en 1871. Le Dr Fayrer estime que, si l’on pouvait relever exactement le chiffre des accidens de cette nature, le total s’élèverait au moins à 20,000. Le nombre des habitans tués et dévorés par les tigres dans les pays limitrophes entre les jungles et les cultures mérite d’attirer toute l’attention des autorités. Citons quelques exemples. En 1809, une tigresse tua 127 personnes et arrêta la circulation pendant plusieurs semaines sur la grande route. En janvier 1868, une panthère blessa 4 individus dans la ville de Chicola, dont un mortellement. En 1869, une lettre de Nuydunka affirme que la même tigresse avait tué en trois ans 118 personnes. Dans les provinces centrales, les documens officiels donnent pour chiffre des accidens mortels causés par les tigres dans les trois années 1867, 1868 et 1869 un total de 946. La destruction des grands fauves présente de sérieuses difficultés pour diverses causes, parmi lesquelles il faut compter le respect superstitieux des natifs pour les tigres mangeurs d’hommes (man eater), qu’ils regardent comme des espèces de divinités, malfaisantes que l’on ne peut offenser sans danger, la modicité des primes du gouvernement, les chasseurs qui tiennent à conserver la race des tigres, sinon à en améliorer l’espèce. » (Moral and material Progress and condition of India, 1871-72.)