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de l’investiture du collier d’or, scène souvent figurée sur les monumens, Joseph devint comme un des samerou qui étaient les yeux, les oreilles, la bouche des pharaons. Il monta sur le second char royal, et l’on criait devant lui : Abrek ! « tête basse ! » Il avait reçu le nom égyptien de Tsephnt-p-ankh, « abondance de la vie : » nous donnons d’abord l’interprétation de M. Chabas ; M. Brugsch lit Zaphnat-paneach, « le gouverneur du district de la ville de la vie, » pays situé près de Tanis, où Joseph et les Beni-Israël habitèrent ; M. Mariette enfin traduit : « l’approvisionneur du monde. » Le fils de Jacob épouse la fille d’un prêtre d’On du nord, ou Héliopolis, appelé aussi Potiphar : la jeune fille a nom Asnath, c’est-à-dire, suivant M. Chabas, « le siège de Neith, » la grande déesse de Saïs. Que Joseph ait rendu son seigneur et maître propriétaire de toutes les terres d’Égypte, c’est un conte merveilleux qui n’a pu éclore que dans l’imagination d’un Éphraïmite. Artapanos prétendait même qu’avant Joseph le sol de la vallée du Nil n’avait jamais été partagé, que d’immenses domaines étaient en friche, que les plus faibles subissaient la violence des plus forts ; les Égyptiens lui auraient surtout été reconnaissans d’avoir inventé les « mesures » et les bornes indiquant la limite des champs. Est-il besoin de rappeler que les Égyptiens de toutes les époques connues étaient propriétaires de leurs biens et payaient les impôts en nature (la monnaie étant inconnue), perçus par des scribes escortés de recors armés du classique bâton ? « Ne t’es-tu pas retracé la condition du cultivateur ? écrit Amenemapt à Pentaour. Le scribe de la douane est sur le quai à recueillir la dîme des moissons ; les gardiens des ports avec leurs bâtons, les nègres avec leurs lattes de palmier crient : « Çà, des grains ! » S’il n’y en a pas, ils le jettent à terre tout de son long ; lié, traîné au canal, il y est plongé la tête la première. Tandis que sa femme est enchaînée devant lui et que ses enfans sont garrottés, ses voisins les abandonnent et se sauvent pour veiller à leurs récoltes. » D’ailleurs, et quoique l’Égypte ait toujours été le grenier de l’Asie occidentale, si bien que tel pharaon témoigne d’avoir envoyé des grains aux Chananéens[1], les famines y étaient fréquentes : l’abondance ou la disette dépendait de la hauteur des eaux du Nil pendant les mois de la crue. Aussi les fonctionnaires égyptiens se vantent-ils souvent dans leurs épitaphes d’avoir prévenu les famines ou du moins secouru les victimes du fléau. Nous citerons seulement en ce genre une bien curieuse inscription funéraire de El-Kab traduite par M. Brugsch ; on y fait mention d’une famine qui arriva précisément vers l’époque où la légende place

  1. Chabas, Etudes sur l’antiquité historique, p. 194 et 213.