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femmes, ils crurent reconnaître l’Adonis de Syrie et l’Atys de Phrygie. D’après M. François Lenormant, ce serait même avec le mythe phrygien que le conte égyptien des Deux Frères aurait les plus nombreuses affinités. On sait aujourd’hui en effet que les peuples de l’Asie-Mineure et des îles de la Méditerranée envahirent plusieurs fois les plaines du Delta à la suite des nations araméennes ou libyennes coalisées contre les Ramsès. Peut-être le mythe d’Atys, dépouillé de son caractère religieux, a-t-il été importé en Égypte par des marchands phéniciens. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, et sans nier la vraisemblance d’une influence asiatique, elle ne nous paraît pas nécessaire à l’intelligence du conte des Deux Frères, qu’explique très bien en ses principaux traits le mythe osirien.

La légende hébraïque de Joseph n’est-elle pas parfois un écho du conte des Deux Frères ? Le scribe d’Israël qui a composé l’histoire mythique du héros d’Ephraïm connaissait-il l’œuvre du scribe Enna et s’en est-il servi pour orner son récit ? Depuis longtemps, les égyptologues, M. Ebers entre autres, se sont adressé cette question. Il ne nous appartient pas d’y répondre ; toutefois on ne saurait être surpris de rencontrer un roman de plus dans cette grande littérature hébraïque où l’on en compte déjà cinq, j’entends les livres de Jonas, d’Esther, de Tobie et de Judith, et le troisième livre des Makkabées[1]. On peut y joindre le roman d’Aristée. Qu’Israël eût ses conteurs et ses fabulistes, le moyen d’en douter ? Dans le pays de Chanaan comme sur les bords du Nil, les arbres et les bêtes ont parlé. Qu’on songe à l’ânesse du devin Balaam qui voyait l’ange de Jéhovah, l’épée nue à la main, posté sur le chemin, et s’efforçait d’avertir son cavalier en lui serrant les jambes contre le mur du sentier des vignes ; elle s’abattit enfin sous Balaam, et, rouée de coups, cria : « Que t’ai-je fait pour m’avoir battue déjà trois fois ? .. Ne suis-je pas ton ânesse que, depuis que tu existes, tu as montée jusqu’aujourd’hui ? » Et Balaam aperçut enfin l’ange posté sur le chemin, l’épée nue à la main. On retrouverait partout l’idée fondamentale de cette fable, même dans les contes des Mille et une Nuits. Qu’est-ce d’ailleurs que le devin Balaam sinon le sage Lokman, l’auteur supposé des fables arabes ? L’identification des deux noms de Balaam et de Lokman, et partant des deux personnages, a été scientifiquement démontrée[2]. N’est-ce point par un apologue qui ne devait pas être moins familier aux enfans de Juda qu’à ceux d’Israël que Joas, roi d’Israël, répondit d’abord à la déclaration de guerre d’Amatsia, roi de Juda (II Chron. XXV, 18) : « L’épine du

  1. Voyez Noeldeke, Histoire littéraire de l’Ancien-Testament, p. 103 et suivantes de notre traduction, Paris 1873.
  2. Dr J. Derenbourg, Fables de Loqman le Sage, Berlin 1850.