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faux du vrai ! » Et voilà que le Soleil écouta sa plainte et jeta une eau pleine de crocodiles entre les deux frères : l’un était sur une rive, l’autre sur l’autre rive. « Attends au matin, dit le cadet. Quand le soleil se lèvera, je plaiderai avec toi devant lui, et je rétablirai la vérité, car désormais je ne serai plus avec toi, je ne me trouverai plus dans aucun des endroits où tu seras : j’irai à la vallée du Cèdre. »

Le lendemain matin, lorsque chacun d’eux aperçut l’autre, le jeune frère dit à l’aîné : « Pourquoi es-tu venu après moi pour me tuer en fraude, sans avoir entendu la parole de ma bouche ? Moi, je suis en fait ton frère cadet ; tu es pour moi comme un père ; ta femme est pour moi comme une mère. Ne serait-ce pas qu’après que tu m’eusses envoyé pour nous apporter des semences, et que ta femme m’eût dit : Viens, reposons ensemble, une heure durant ; alors voici qu’elle a changé cela en autre chose ? » Il mit sous les yeux de l’aîné tout ce qui s’était passé, fit serment par Râ-Harmachis, le dieu Soleil dans les deux horizons, et s’écria : « Être venu pour me tuer en fraude, ton couteau à la main, à la porte de l’étable, en embuscade, c’est une infamie ! » Il saisit un couteau bien affilé, se mutila et jeta dans le fleuve l’organe sanglant de la force mâle, qu’un oxyrrhynque dévora. Le frère aîné s’en affligea beaucoup et se mit à pleurer tout haut. Le cadet lui rappelle tout ce qu’il avait fait pour lui, il ajoute : « J’irai à la vallée du Cèdre, et alors voici ce que tu feras pour moi : tu viendras prendre soin de moi quand tu sauras qu’il m’est arrivé quelque chose. J’enchanterai mon cœur, je le placerai sur le sommet de la fleur du Cèdre, et si l’on coupe le Cèdre et que mon cœur tombe à terre, tu viendras le chercher ; si tu fais sept années de recherches, ne te dégoûte pas pour cela. Une fois que tu l’auras trouvé, tu le mettras dans un vase d’eau fraîche, et alors je reviendrai à la vie… Or tu sauras que quelque chose m’est arrivé lorsqu’on te mettra dans la main une cruche de bière et qu’elle donnera de l’écume. » Il s’en alla vers la vallée du Cèdre ; le frère aîné retourna dans sa maison, la main sur sa tête couverte de poussière ; il tua sa femme et la jeta aux chiens.

Dans la vallée du Cèdre, Bataou passe ses journées à chasser et revient chaque soir se coucher sous l’arbre. Comme il sortait de la villa qu’il s’était construite, il rencontra le cycle des dieux qui s’en allait régler les destinées de la terre entière[1]. « Ah ! Bataou, dirent les dieux, demeureras-tu toujours seul pour avoir quitté ton pays devant les accusations de la femme d’Anepû, ton frère aîné ? » Leur

  1. Un des noms les plus ordinaires de l’Égypte.