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somptueuse. Les gens des villes avaient, comme à Thèbes, leurs immenses nécropoles, leurs Memnonia, où les momies des pauvres s’entassaient dans les hypogées communs, près des chapelles funéraires des riches[1]. Parfois la table d’offrandes où les enfans, les frères, portaient à certains jours les dons funèbres, se dressait sur la lisière d’un champ, entre un bouquet d’acacias et de dattiers au tronc grêle. Quant aux habitations de cette vie, elles étaient légères et fragiles comme des tentes : quelques briques du Nil, deux ou trois troncs de palmier ou de sycomore à peine équarris, tels étaient les matériaux. « Les peintures d’hypogées, écrit M. Mariette, nous laissent deviner ce que pouvait être une maison égyptienne : de l’eau, des arbres, des champs fermés de murs, des jardins, quelques parlions de bois ouverts à tous les vents, les meubles les plus indispensables. »

Il n’y a pas jusqu’à l’idée fixe de la mort, à la méditation des choses d’outre-tombe, qui ne prît en Égypte un tour de douce et sereine gravité. Quelque séduisant que fût le mirage des joies élyséennes, on tenait fortement à cette vie, d’où l’on ne désirait sortir « qu’à l’âge parfait de cent dix ans ; » au Nil céleste, au labourage mystique des champs d’Aâlu, à la compagnie des dieux lumineux, on préférait en somme la chasse et la pêche dans les marais et sur les rives du Nil terrestre, la culture des terres fécondées par le limon des eaux, et la société de simples mortels avec lesquels l’Égyptien pouvait chanter, boire, railler et se gaudir. Aux peintures mêmes des tombeaux, sous l’ancien empire, il badine et se moque, regarde les baladins. Nul désir de la mort chez ces naïves et souciantes créatures. Le contentement intime, le bonheur de vivre, de se tenir soi-même en haute estime, perce en cette épitaphe d’un fonctionnaire de la Ve dynastie : « Ayant vu les choses, je suis sorti de ce lieu (le monde), où j’ai dit la vérité, où j’ai fait la justice. Soyez bons pour moi, vous qui viendrez après, rendez témoignage à votre ancêtre. « C’est le bien qu’il a fait, puissions-nous agir de même en ce monde ! » qu’ainsi disent ceux qui viendront après ! Jamais je n’ai soulevé de plainte, jamais je n’ai mis à mort. O Seigneur du ciel, maître universel ! je suis qui passe en paix, pratiquant le dévoûment, ami de son père, ami de sa mère, dévoué à quiconque était avec lui, la joie de ses frères, l’amour de ses serviteurs, qui n’a jamais soulevé de plaintes[2]. »

On retrouve ici un écho de cette antique morale égyptienne,

  1. Maspero, une Enquête judiciaire à Thèbes au temps de la XXe dynastie, p. 62 -sqq. ; Paris 1872, in-4o.
  2. Lepsius, Denkmaler, t. II, p. 43. Nous donnons la traduction de M. Maspero, de même pour l’inscription funéraire de Ta-Imhotep, déjà traduite par Brugsch.