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possèdent toutes les issues, tous les dédales, connaissent toutes les maisons fréquentées par les voleurs.

Si la police est ici sur ses gardes, la municipalité, le conseil d’hygiène, semblent ignorer l’existence de ces tristes lieux. L’été, on ne saurait aller impunément dans ces affreux réduits, où, par suite de l’entassement des gens et de la chaleur torride qui règne alors à New-York, la fièvre, la petite vérole, élisent domicile. Quand éclate le choléra, c’est là surtout qu’il fait ses ravages ; aucune propreté même dans les rues. Jamais le balai ni le niveau municipal n’y étaient passés, si ce n’est dans ces derniers mois ; les cloaques et les immondices s’y étalaient à l’aise. Les pavés manquent encore sur beaucoup d’endroits ; d’autres rues n’ont jamais été empierrées ni même nivelées. Depuis quelque temps néanmoins on essaie de porter sur ces lieux le pic du terrassier, la truelle et le marteau du maçon, et l’on a, par des percemens enfin décidés, donné heureusement un peu de jour et quelque dégagement au carrefour des Cinq-Points comme naguère à la Cité de Paris.

Il n’est pas toujours prudent de s’aventurer seul, même de jour, dans ces antres populeux de la misère. Les enfans eux-mêmes y étaient jadis redoutables. Ceux qu’on appelait « la bande de la 19e rue, » parce que cette association de jeunes étrangleurs et voleurs hantait surtout les recoins déserts et abandonnés de cette partie de la ville, commirent plus d’une fois des assassinats avec une incroyable audace. Un jour, un honnête citoyen est tué par eux en plein midi sur le pas de sa porte, — une autre fois, au milieu de la rue, un mari qui passait paisiblement avec sa femme. Aujourd’hui même, dans certains wards, on joue à tout propos du couteau et du revolver, surtout le dimanche. La liste des méfaits de ce genre est longue dans les journaux du lundi matin, et ce jour-là les tribunaux correctionnels sont sur les dents.

Quand on veut visiter des repaires comme ceux des Cinq-Points, il est bon, surtout la première fois, d’être accompagné de la police. Bien que ces excursions soient mal vues des-classes dont on étudie la dégradante situation, nous n’avons jamais subi d’insultes dans nos courses ; bien mieux, une personne qui un jour nous accompagnait fut prise un instant, au milieu d’une cour populeuse, pour un membre du conseil d’hygiène. Les innombrables locataires de l’endroit, dont notre visite avait éveillé la curiosité, l’assaillirent de réclamations, d’offres devenir constater, et sur l’heure, un état de lieux déplorable. Des matrones à la face avinée nous appelaient de tous côtés, nous tiraient par nos vêtemens ; on nous interpellait même des fenêtres, et il fallut s’arracher de vive force à ces sollicitations intéressées qui déjà devenaient gênantes.