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des devoirs imposés par la société. Le lendemain, Alberti expliqua les rapports de l’Enéide avec la philosophie platonicienne.

A un esprit très positif, Laurent unissait l’imagination qui fait le poète ; mais comment montrer une verve originale dans la langue qui était alors seule en vogue, dans une langue morte où les pensées prenaient un tour artificiel ? Les écrivains d’alors ne se servaient en général que du latin et dédaignaient la langue italienne comme trop vulgaire et trop pauvre. Malgré sa passion pour les classiques de l’antique Rome, Laurent, tout jeune encore, comprit les mérites de sa langue natale. En 1466, à la suite d’une visite que lui avait faite Frédéric d’Aragon, le plus jeune fils de Ferdinand, il envoya au prince napolitain un recueil de poésies italiennes où, à côté de Dante et de Pétrarque, trouvèrent place Guittone d’Arezzo, Guido Guinicello, Guido Cavalcanti et Bonagiunta, jugés tous par lui avec beaucoup de justesse. Plus tard, dans une de ses lettres, il démontrait la dignité et la souplesse de la langue italienne. « N’a-t-elle pas suffi, sous la plume de Dante, de Pétrarque et de Boccace, pour exprimer tous les sentimens, toutes les idées, depuis les plus graves et les plus profondes jusqu’aux plus gracieuses et aux plus tendres ? Elle n’a pas manqué aux écrivains, ce sont les écrivains qui lui ont manqué. » Laurent ne lui manqua point.

C’est dans cet idiome si harmonieux et si flexible qu’il traduisit ses propres conceptions. Tantôt, comme dans les Sonnets et les Canzones, il célèbre l’amour et loue les yeux de sa dame, non sans se souvenir un peu trop de Pétrarque, non sans évoquer avec une complaisance exagérée les héros de la mythologie, mais en empruntant à la nature, aux fourmis par exemple et aux abeilles, des comparaisons pleines de charme[1]. Tantôt, comme dans l’Altercazione, il examine, sous forme de dialogue, les conditions du bonheur, et, ne le trouvant ni chez les prétendus heureux du siècle, ni chez l’homme adonné aux travaux des champs, il arrive à constater, par la bouche de Ficin, représentant des doctrines platoniciennes, que la connaissance et l’amour de Dieu procurent seuls la véritable félicité. Ailleurs, il s’abandonne à la peinture des champs et des bois, au sein desquels il place des bergers, à la façon de Théocrite, ou bien, à l’imitation d’Ovide, il imagine des métamorphoses agrestes : Corinto et Ambra sont deux idylles dans lesquelles abondent les gracieux détails, mêlés à quelque subtilité et à quelque affectation. C’est encore à la campagne que nous transporte la Nencia da Barberino, où le sérieux et la gaîté tirent des poésies populaires et des locutions villageoises une grande partie de leur attrait naïf. Grâce à la Chasse au faucon, nous

  1. Voyez les pages 150 et 156 dans la petite édition de Barbera, 1859.