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II

Quelque réputation de prudence et de sagesse qu’ait laissée Laurent dans ses rapports avec les différens états de l’Italie, il lui arriva pourtant de commettre plus d’une faute, et ce ne fut qu’après avoir reçu les rudes leçons de l’expérience qu’il parvint à posséder cette merveilleuse perspicacité qui lui permit de traverser heureusement les situations les plus critiques. Comblé de faveurs par Sixte IV, il eut le tort d’exciter la colère du souverain pontife par des tracasseries mesquines et de transformer ainsi un allié en un implacable ennemi. A quoi bon par exemple défendre aux banquiers florentins établis à Rome d’avancer au pape la somme nécessaire à l’acquisition de la ville d’Imola pour Girolamo Riario, puisque le pape ne pouvait manquer de trouver ailleurs les fonds dont il avait besoin ? A quoi bon soutenir le vicaire pontifical de Città di Castello, Niccolò Vitelli, en révolte contre le saint-siège ? Pourquoi s’opposer pendant trois ans à l’intronisation de Francesco Salviati, nommé par Sixte IV archevêque de Pise ? Pourquoi, après la conjuration des Pazzi, alors que Sixte IV était exaspéré par les révélations de Montesecco[1], et fort inquiet du surcroît d’autorité que l’échec de cette conjuration avait procuré à Laurent, retenir prisonnier durant plusieurs mois le cardinal Raffaello Riario, dont l’innocence était avérée ? Pourquoi enfin ne pas dissimuler les griefs, si légitimes qu’ils fussent, et affronter les hasards de la guerre, quand Florence ne pouvait attendre aucun secours efficace ni de Milan, gouvernée au nom d’un enfant par une femme sans cesse aux prises avec les factions, ni de Venise, tenue constamment en échec par les Turcs ? Laurent du moins fut assez adroit pour amener les Florentins à confondre leur cause avec la sienne, quoiqu’ils eussent pu éviter une rupture avec Sixte IV et Ferdinand, s’ils eussent consenti à exiler les Médicis, et, lorsque la guerre eut gravement entamé le territoire de la république, c’est par son initiative hardie qu’il sauva l’indépendance de son pays. Sachant bien qu’il ne parviendrait pas à fléchir le pape, Laurent résolut de traiter avec Ferdinand seul, se rendit à Naples et se mit à la discrétion du roi. Reçu comme un prince, il répandit l’argent à pleines mains, donna des festins, dota de pauvres filles, éblouit le peuple par sa magnificence, gagna des alliés à la cour par son érudition littéraire et séduisit son hôte lui-même par la profondeur de ses calculs politiques. La paix fut signée, et le souverain pontife la ratifia, ne pouvant seul continuer la lutte. Laurent avait réparé ses

  1. Montesecco avait divulgué les rapports des conjurés avec V. Riario et Sixte IV.