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faveur de certains changeurs de Prato, qu’il appelle « ses bons amis. » Une autre fois il examine des contraventions en matière de douane et statue sur des contestations de frontières. Les souverains lui écrivent sur le ton de l’amitié et vont même jusqu’à invoquer sa protection, jusqu’à implorer des avances de fonds considérables, car il avait d’importantes maisons de banque à Rome, à Milan, à Lyon et à Bruges. Les exemples cités par M. de Reumont sont fort curieux et mériteraient d’être rappelés.

Souverain de Florence par l’autorité, Laurent l’était aussi par l’éclat de sa maison et par son hospitalité somptueuse, bien qu’il fût resté simple dans sa vie privée. C’est chez lui que logeaient les princes. Partout du reste on s’habituait à traiter Laurent comme un roi, quoiqu’il affectât, du moins en paroles, de n’être qu’un citoyen de Florence. Ferdinand lui envoyait des chevaux de grand prix. Le soudan d’Égypte, tandis qu’il faisait cadeau d’un lion apprivoisé à la seigneurie, donnait à Laurent, entre autres raretés, des porcelaines inconnues en Italie, de précieux tissus de soie, des vases avec des incrustations, et à leur tour les communes du territoire toscan tenaient aussi à témoigner par des présens de leur déférence envers le chef de la république florentine.

Quelle était cependant en face de Laurent, devenu l’égal d’un roi, l’attitude de la population florentine ? Dans les hautes classes, l’intérêt avait attaché peu à peu au nouveau système de gouvernement ceux même qui regrettaient les anciennes libertés. D’autres, craignant les violences et les hasards d’une révolution, acceptaient en silence, à l’écart des emplois publics, un régime qu’ils réprouvaient. Bon nombre de citoyens subissaient d’ailleurs le prestige d’un homme supérieur auquel leur patrie devait un ascendant incontesté sur les autres états de l’Italie. Grâce à la paix, qu’aucune secousse ne menaçait, l’industrie et le commerce retrouvaient une activité singulière, comme le prouvent les curieux renseignemens fournis par Benedetto Dei dans sa chronique. Cette prospérité permettait à l’aristocratie bourgeoise, qui acquérait chaque jour plus d’opulence, de s’adresser aux architectes en renom pour construire ses demeures et d’employer à l’embellissement intérieur des maisons les vaillans artistes de cette époque privilégiée. Quant au peuple, il trouvait son compte dans les fêtes que Laurent donnait aux princes étrangers, ou qu’il lui prodiguait à lui-même. Un jour c’était un tournoi, un autre jour c’était un spectacle religieux, une procession solennelle, un mystère dont l’ingénieur Cecca et le peintre Francesco Granacci ne dédaignaient pas de régler le programme ou de composer les décorations ; puis, à l’époque du carnaval, les mascarades succédaient aux fêtes religieuses ou civiles, et, la licence gagnant alors jusqu’aux enfans, ce n’étaient partout que propos ou