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encourageait les unions utiles à sa politique. C’est Guichardin, plutôt favorable qu’hostile aux Médicis, qui nous l’affirme dans son Histoire inédite de Florence, à laquelle M. de Reumont a fait de nombreux emprunts. Naturellement très soupçonneux, Laurent entretenait des rapports particuliers avec les secrétaires de ses ambassadeurs et se faisait donner par eux des informations spéciales pour contrôler les déclarations officielles. comme les magistrats n’exerçaient que pendant peu de temps leurs fonctions, tandis que leurs secrétaires n’étaient pas changés, Laurent exigeait que ces derniers fussent uniquement choisis parmi ses créatures, afin d’être tenu au courant de tout. Veut-on un exemple de l’attention avec laquelle chacun se croyait forcé de ne pas éveiller sa susceptibilité, on le trouvera dans l’histoire du palais Strozzi.

Filippo Strozzi désirait se faire bâtir un palais dont la grandeur et la beauté recommandassent son nom à la postérité ; mais, craignant de porter ombrage au maître de Florence et d’attirer l’attention de Laurent sur ses immenses richesses, il ne révéla son projet que peu à peu et se fit en quelque sorte forcer la main. Sans doute il avait besoin, disait-il, d’une plus vaste demeure, afin de loger ses nombreux enfans ; cependant il n’était pas encore résigné à la dépense que coûterait cette construction, et, quand Benedetto da Maïano lui eut soumis le magnifique plan du palais actuel, il se récria sur la grandeur démesurée d’une pareille habitation. Il ne voulait qu’une maison bourgeoise, spacieuse et commode ; il songeait même à établir au rez-de-chaussée des boutiques dont le produit allégerait d’autant le poids de ses dépenses. L’écho de tous ces pourparlers arriva jusqu’à Laurent, qui désira voir les dessins de Benedetto, et encouragea Filippo Strozzi à élever un édifice dont Florence devait être fière. Peut-être ne réfléchissait-il pas sans une certaine satisfaction aux sommes énormes que Strozzi aurait à débourser et à la diminution de puissance qui en résulterait pour une famille déjà influente. Strozzi se laissa prier, fit mine de résister, puis, n’ayant plus à craindre le mécontentement du chef de l’état, finit par se rendre. Ainsi fut commencé en 1489 ce palais admirable, auquel Simone Cronaca devait ajouter, outre une cour très élégante, cet entablement regardé encore de nos jours comme un incomparable chef-d’œuvre.

Dans la haute position qu’il occupait, Laurent déploya une incroyable activité. C’est à lui que tous s’adressaient, les grands comme les petits, les étrangers comme les citoyens de Florence, les paysans comme les princes. La plupart du temps, il répondait lui-même aux innombrables demandes qui lui étaient faites et donnait son avis de bonne grâce sur les affaires de tout genre qu’on lui soumettait. Un jour il s’emploie auprès du duc de Ferrare en