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citoyens, et les mécontens gardaient un prudent silence. A l’ombre du conseil où s’installaient des ambitions sans vertus publiques, on s’habituait au pouvoir absolu ; Laurent préparait les Florentins à supporter Alexandre de Médicis. Les esprits clairvoyans ne s’y trompèrent pas. L’historien Alamanno Rinuccini, quoique admis à faire partie de la nouvelle assemblée, reconnaissait que la liberté avait reçu un coup mortel.

Ce n’était point encore assez. En 1490, Laurent fit enlever au conseil des soixante-dix la faculté d’élire les seigneurs ainsi que les autres magistrats, et la transporta à une commission peu nombreuse où l’aristocratie nouvelle était mêlée à l’ancienne. Une autre commission restreinte eut en main la dette publique, les impôts, toutes les questions de finances. Au moyen de ces commissions, dont il disposait à son gré, Laurent se dispensait de recourir à des lois et évitait les difficultés qu’engendre la discussion dans les conseils. Sous l’étiquette d’une république et sans exercer ordinairement lui-même aucun pouvoir légal, il arriva donc à posséder une puissance illimitée. Il était véritablement le souverain de Florence. Depuis la conjuration des Pazzi, une escorte d’amis et de cliens l’accompagnait presque toujours ; mais il eut une véritable garde du corps payée par l’état à partir du 6 juin 1481, époque à laquelle un nouveau complot, découvert à temps, n’eut d’autre résultat que le supplice des coupables.

Comment Laurent conserva-t-il cette autorité si adroitement, si laborieusement acquise ? N’ayant plus rien à redouter des Albizzi, tombés en 1434, des Diotisalvi et de Niccolò Soderini, exilés en 1466, des Pazzi et de leurs adhérens, exécutés ou bannis douze ans plus tard, il eut soin de ne laisser parvenir aux magistratures principales et aux grandes fonctions publiques que les anciens amis de sa famille ou les partisans de fraîche date dont la fidélité ne pouvait être suspecte. Les uns participaient, sous sa direction et sous sa surveillance, au gouvernement, et il se montrait avec eux d’une libéralité princière, d’un commerce facile, sans leur permettre de prendre, bien entendu, un ascendant trop prolongé ou de devenir trop indépendans. Aux autres, à ceux qui s’étaient récemment ralliés à lui ou qu’il jugeait capables d’exercer quelque influence par leurs richesses ou leurs relations, il confiait des honneurs inoffensifs ; mais il ne les rendait pas maîtres des scrutins et des impôts. C’est à des hommes comblés de ses bienfaits et qui ne pouvaient se passer de son appui qu’il confiait les affaires délicates, les affaires où il avait besoin de compter sur un dévoûment à toute épreuve. Bien plus, le souci de son intérêt personnel l’entraînait jusqu’à une immixtion tyrannique dans les mariages. Il ne permettait pas les alliances entre les citoyens dont il redoutait la puissance, et il