Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où avez-vous vu ces grandes croisades féminines entreprises contre les buveurs, si ce n’est aux États-Unis ?

Que deviennent les enfans des pauvres en présence des navrans exemples offerts par les parens ? Lamentable est leur sort, surtout quand il s’agit des petites filles. Celles-ci, arrêtées dans l’exercice des métiers de rues par la concurrence des petits garçons, moins lestes, moins agiles qu’eux, ne peuvent pas lutter avec avantage. Vendre des fleurs au coin de quelques avenues, sur quelques places fréquentées, c’est à peu près leur unique lot. Alors elles se souviennent qu’elles sont femmes. Quelques-unes sont jolies, avenantes ; elles se vendent au premier venu souvent avant l’âge.

L’histoire de ces chutes est toujours la même. Une de ces pauvres victimes de la misère, une jeune fille allemande, avait été arrêtée un matin par la police pour délit de vagabondage et conduite à la prison du 4e ward : c’était dans ce triste réduit que l’on avait enfermé la jeune fille, qui attendait son jugement. Prévenu par l’excellente matrone commise à la garde du département des femmes, M. Brace demanda à la voir. Elle lui fit, les larmes aux yeux, une confession désolante. S’étant enfuie d’une maison où on la maltraitait, elle était d’abord tombée dans les mains d’un gentleman qui l’avait rencontrée le soir, puis dans celles de la police. Elle n’avait pas quatorze ans. M. Brace obtint qu’on la relâchât. On la ramena, non sans peine, chez ses parens, et le lendemain on l’envoyait à la campagne dans une ferme où les siens finirent par aller la rejoindre.

La prison du 4e ward est la prison principale de la ville, et le peuple lui a donné le nom significatif des Tombes, L’édifice est massif et lourd, de style égyptien, tout en granit. Les pylônes bas et tristes, les chapiteaux aux larges feuilles de lotus, lui donnent on ne sait quoi de mystérieux. Les cellules grillées s’ouvrent sur une cour fermée ou sur de noirs corridors ; on est dans une véritable forteresse. Dans un coin est la place où le shériff, en présence de quelques témoins, pend les condamnés à mort. L’endroit où est située la sombre prison des Tombes est un des quartiers les plus misérables de New-York. C’est là, au carrefour des Cinq-Points et dans les alentours, que se rassemblent surtout les pifferari italiens, les ignobles padroni accompagnés des gamins qui jouent de l’orgue, de la harpe, du violon, de la cornemuse. Pour quelques écus, « les petits esclaves, » comme les Yankees les appellent si justement, ont été loués à leurs parens en Italie, au fond des Calabres ou des Abruzzes, dans le Parmesan ou le Génovesat, et le padrone les a emmenés. Il est leur maître absolu pour trois ans, et vit d’eux. Chaque soir, il faut que l’enfant rapporte une certaine somme, quelque temps qu’il fasse, en toute saison, sinon il est battu. Tout ce