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ensoleillées et toutes blettes, émerge la tête curieuse du veau marin.

Enfin, le 22 juillet 1870, la Germania flotte de nouveau en mer libre et quitte, après trois cents jours d’hivernage, la petite anse qui l’a reçue hospitalièrement pour essayer de faire avec l’aide de la vapeur une seconde pointe vers le nord ; mais par le 75° 26’ de latitude, c’est-à-dire un peu en-deçà de la hauteur qu’elle avait atteinte l’été précédent, le chenal lui manque tout à coup. Les influences estivales n’avaient point désagrégé les masses énormes qui, du large, se venaient relier à la banquise, et, selon toute apparence, ces soudures ne devaient céder qu’aux tempêtes de l’automne. Or, ces tempêtes n’arrivant qu’à la fin d’août, la Germania, qui, aux termes de l’instruction du comité de Brême, ne pouvait faire qu’un seul hivernage dans ces régions, se résolut à reprendre la route d’Europe, et le 11 septembre elle était à quai dans le Weser.

Les résultats scientifiques de l’exploration étaient en somme considérables. Si le problème capital de la navigation polaire n’avait pas été résolu, on avait acquis en revanche des notions beaucoup plus précises et plus étendues sur la nature physique et hydrographique de la plus importante des terres boréales. En affirmant dans sa relation qu’il n’existe point de chenal continu à l’est du Groenland, M. Koldewey tire peut-être une conclusion trop rigoureuse d’une simple expérience de deux années ; il paraît en tout cas douteux que cette côte puisse offrir une base favorable pour atteindre le bassin central du pôle nord, car d’une part l’état des passes voisines du rivage y est subordonné à toute sorte de conditions topiques malaisées à prévoir, et d’autre part le courant froid, même à l’époque du plus grand relâchement des glaces, y charrie d’immenses quantités de blocs unis et tabulaires. Le pays, pris en soi, n’en présente pas moins au savant et au géographe un champ d’études fort curieux. Des investigations habilement conduites par les chefs de la Germania, il ressort que cette partie du Groenland est actuellement inhabitée et, ce semble même, inhabitable. On y trouve encore des restes parfaitement conservés de huttes d’Esquimaux, véritables taupinières que la relation nous décrit très minutieusement, y compris divers instrumens et ustensiles dont la façon primitive rappelle le travail de l’âge de pierre ; mais, pour une raison ou pour une autre, l’homme polaire paraît avoir déserté, sans esprit de retour, ces parages, où les conditions de la vie ont pu, dans le cours des âges, se modifier sensiblement. L’ours polaire, improprement nommé ours blanc, y règne en maître parmi les glaciers de la côte, comme le walrus, non moins redouté, dans les banquises de la mer.

Le membre le plus intelligent et le plus actif de l’importante mission dont nous venons d’exposer la fortune avait été sans contredit le lieutenant Jules Payer ; Tout dévoué de cœur et d’idée aux théories de M.