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peut, le pays de Gillis : aucun de ces trois buts n’est atteint ; mais l’expédition détermine plus exactement la situation des îles sud-est du Spitzberg, et confirme les assertions de M. Petermann sur la lointaine extension du gulf-stream. La même année, le capitaine anglais Palliser, parti, lui aussi, pour contourner tous les rivages de la Nouvelle-Zemble, pénètre dans la mer de Kara, située entre cette île et la péninsule des Samoïèdes, et y longe la côte sibérienne jusqu’à quelques lieues de l’Ile-Blanche sans être le moins du monde entravé par les glaces. Derrière lui, le Norvégien Johannesen la traverse deux fois sans difficulté. Par là se trouve redressée l’erreur accréditée jusqu’alors qui consistait à représenter ce bassin étroit et peu profond, où se déversent par deux estuaires voisins l’un de l’autre les masses congelées de l’Obi et de l’Iénisséi, comme la grande glacière du pôle nord.

L’événement capital de l’année 1869, dans cet ordre de faits, fut la seconde expédition allemande qui partit au mois de juin de Bremerhaven. Celle-ci, formée à grands frais par le zèle de nombreux comités, se composait de deux navires, le vapeur à hélice la Germania, aguerri déjà par une précédente exploration, et le voilier d’escorte la Hansa. Au capitaine Koldewey, qui la commandait en chef, s’adjoignirent le lieutenant autrichien Jules Payer et plusieurs savans. L’instruction remise aux voyageurs par le comité central de Brême leur indiquait comme base principale d’opération la côte orientale du Groenland, qu’il s’agissait d’étudier scientifiquement et de relever dans tous ses détails. Ces travaux terminés, M. Koldewey et ses compagnons verraient, si les circonstances étaient favorables, à remonter aussi haut que possible vers le pôle ; mais dans tous les cas la date extrême du retour était fixée au 1er novembre de l’année suivante. Les deux bâtimens naviguèrent tant bien que mal de conserve jusqu’au 74e degré ; là, une méprise funeste, un signal de la Germania mal interprété à bord du voilier, sépara pour toujours les deux navires. La Hansa, n’ayant point à son service les ressources de la vapeur, ne tarda pas à être investie par les glaces à une quarantaine de milles de la côte, et après avoir, dans cette position, dérivé considérablement vers le sud, elle se brisa sous la pression des blocs qui l’enveloppaient. L’équipage chercha son salut sur un immense glaçon flottant où il se bâtit, avec des briquettes de charbon, une hutte d’hivernage qui fut détruite à son tour. Ce radeau d’une nouvelle espèce, qui avait d’abord sept milles de tour, se disloqua ou fondit graduellement durant une effroyable et capricieuse dérive de six mois, en partie dans les ténèbres de la nuit polaire, et un jour vint où les malheureux naufragés ne mesurèrent plus qu’avec anxiété la superficie de leur fragile domaine. Par bonheur, le courant les avait ramenés insensiblement sous des latitudes plus hospitalières, et, comme ils avaient sauvé leurs chaloupes, ils saisirent la première occasion de les mettre à flot ; enfin, à force de voile, de halage et de transbordement, ils