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sont frappantes. Une grande bataille venait d’être perdue, le roi était prisonnier, l’armée en fuite. Les survivans du combat, le dernier espoir de la France, quand ils se montraient quelque part, étaient insultés comme des lâches ou des traîtres. C’est le moment que tous les mécontens choisissent pour se plaindre et se venger. Au lieu de s’entendre pour résister à l’ennemi, on se divise et on se dispute. Chacun ne songe qu’à soi. Les nobles épuisent plus que jamais leurs vassaux pour payer la rançon de leurs proches, « le peuple crie contre les nobles, qu’il traite de lièvres fugitifs, de fanfarons timides, de vils déserteurs. » Paris se met en révolte ouverte. Le duc de Normandie, régent du royaume, dont on massacre les conseillers et les généraux, est forcé de quitter sa capitale. Pendant plusieurs mois, la commune de Paris se donne le plaisir de séparer ses destinées de celles du royaume et de se gouverner elle-même. La petite république, à peine née, cherche à se consolider et à s’étendre. Elle fait des sorties hors de ses murs qui sont commandées par un orfèvre et un épicier, elle écrit des circulaires aux communes de Flandre pour les gagner à sa cause, elle s’allie avec le roi de Navarre, tendant ainsi la main aux ennemis de son pays, tandis qu’elle ferme ses portes à son souverain. Il faut que le duc de Normandie en fasse le siège, à la grande joie des Anglais, qui, des hauteurs de Saint-Cloud, qu’ils occupent, regardent la France achevant de se détruire de ses mains. Est-ce donc le hasard qui, à cinq siècles d’intervalle, a rendu les mêmes pays témoins d’événemens semblables ? Ne vaut-il pas mieux croire que les mêmes faits ne se sont reproduits que parce qu’au fond des cœurs couvaient les mêmes passions ? La légèreté et la jalousie, la haine des supériorités légitimes, le goût de l’indiscipline, le mépris de l’autorité, sont plus anciens chez nous qu’on ne pense. Ce n’est pas, comme on le dit, la révolution seule qui a mis ce mauvais levain dans les âmes. Elle n’a été qu’une de ces explosions, la plus terrible peut-être, mais non la seule, par où le feu caché s’échappe ; il y en avait eu beaucoup d’autres avant elle, et même dans ces époques éloignées où l’on voudrait placer l’âge d’or. C’est une chimère de croire que la vieille France ne connaissait pas le mal dont nous sommes atteints. L’histoire nous apprend que les séditions et les communes sont de tous les temps, et, en nous montrant que nous ne sommes pas nés dans des conditions particulières, qu’il n’y a pas pour certaines époques comme un privilège de malheur, que nos aïeux se sont trouvés en face des mêmes dangers que nous et qu’ils en sont sortis victorieux, elle nous empêche de nous désespérer.

Il me semble même que, quelle qu’ait été l’étendue de nos malheurs, les gens du XIVe siècle avaient été plus malheureux encore.