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n’y avait rien, de tenter les expériences agricoles, d’ouvrir les premières manufactures, d’introduire les machines, de créer les voies pour le transport et l’échange des produits, on pouvait admettre que le souverain se fît agriculteur, industriel, négociant et subrécargue. Aujourd’hui que l’Égypte est pour ainsi dire mise en train et que la colonie européenne suffirait, à défaut des indigènes, pour entretenir le mouvement général du travail et des transactions, ce rôle de factotum n’a plus de raison d’être, il est sans dignité pour le souverain, sans utilité pour le pays, il est devenu contraire à toutes les règles d’un bon gouvernement. Si la réforme judiciaire amène la réforme économique, ce ne sera pas le moindre des services qu’elle aura rendus à l’Égypte, à la colonie étrangère et au khédive.

Quant à la résistance inflexible, intraitable que l’on s’attend à rencontrer dans le Coran et qui serait la pierre d’achoppement de la réforme judiciaire, il est impossible, pour quiconque a vu l’Orient, de n’en pas tenir compte ; mais il faut se défendre contre l’exagération, et avant tout ne point évoquer un adversaire que le projet de réforme a eu soin de laisser à l’écart. Les procès devant les nouveaux tribunaux égyptiens seront jugés d’après un code approuvé par les puissances chrétiennes et selon les usages des Francs. La loi de Mahomet demeurera comme non avenue. Craint-on cependant que, malgré l’entourage de leurs collègues européens, les magistrats indigènes ne se laissent inspirer par les doctrines du prophète ? Il est permis de se rassurer en observant que déjà fonctionnent ailleurs des tribunaux où les docteurs musulmans siègent avec des juges chrétiens, et que la justice y est convenablement rendue. L’expérience a été faite en Algérie dans des conditions analogues. La France a respecté la foi des sujets que lui a donnés la conquête, et elle a institué auprès de certains tribunaux un conseil du droit musulman qui est appelé à donner son avis dans les litiges indigènes où sont engagées des questions d’état ou de religion. Ce conseil ne juge que d’après le Coran. Or le Coran, aussi bien que tout autre code, est sujet aux interprétations des légistes ; il n’a pas l’inflexibilité qu’on lui suppose, et il arrive souvent qu’il inspire les décisions les plus diverses. Nos magistrats, qui ne cherchent pas à peser sur les avis des conseils indigènes, ont pourtant remarqué dans certains cas l’influence que le voisinage de la loi française peut exercer sur la jurisprudence musulmane. Voici un exemple très curieux qui a été cité par l’un de nos plus éminens magistrats consulté à l’occasion de la réforme égyptienne. « D’après le Coran, le temps de la gestation de la femme n’est pas fixé et peut, suivant certains passages et certains commentateurs, durer jusqu’à sept