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récompense des progrès accomplis par l’Égypte dans les voies d’une administration régulière, sauf à se prêter à toutes les concessions de forme que la prudence ou la défiance des Européens pourrait exiger. Ainsi entendue, sa proposition méritait d’être prise en considération, et les ambassadeurs, après s’être concertés, jugèrent équitable de la recommander à l’attention bienveillante de leurs gouvernemens.

La France était particulièrement intéressée dans ces plans de réforme à raison du nombre de ses nationaux qui sont établis en Égypte, et des relations très étendues que Marseille entretient avec Alexandrie et Port-Saïd. Elle avait en outre à s’acquitter de l’honorable devoir que lui impose son rôle de protectrice des chrétiens en Orient, et à le concilier avec les sentimens d’amitié que les traditions de sa politique lui conseillent à l’égard de l’Égypte. Comment enfin n’aurait-elle pas éprouvé une vive sollicitude pour une réforme qui pouvait être considérée comme un hommage rendu à sa civilisation et à ses lois, car le code égyptien qu’il s’agissait d’appliquer avait été rédigé sous l’inspiration du code français ? Une commission, présidée par M. Duvergier et composée des jurisconsultes les plus compétens en cette matière, fut instituée à Paris en 1867 pour examiner les propositions de Nubar-Pacha. Elle accepta le principe de la réorganisation judiciaire, notamment la création des tribunaux mixtes, mais en maintenant les tribunaux consulaires pour ceux des justiciables qui préféreraient y recourir. Quant à la compétence, la commission ne voulut l’accorder aux tribunaux mixtes que pour les affaires civiles ou commerciales et pour les contraventions de simple police ; elle la refusait absolument pour les affaires criminelles. A ses yeux, les coutumes qui s’étaient établies en Égypte en dehors des capitulations constituaient au profit des Européens une sorte de droit acquis dont il était permis à ceux-ci de se prévaloir, et que les gouvernemens devaient défendre contre des innovations qui semblaient trop radicales. La commission exprimait donc une doctrine tout à fait contraire à celle que Nubar-Pacha soutenait au nom du khédive, et le maintien facultatif de la juridiction consulaire rendait à peu près illusoire la constitution projetée des tribunaux égyptiens. Il y avait en un mot dans cette première étude entreprise en 1867 un double sentiment : d’abord le désir sincère d’accueillir un commencement de réforme, puis la crainte de compromettre par un abandon trop facile du régime existant les intérêts de nos nationaux. Il faut dire que les magistrats français qui siégeaient dans la commission pouvaient ne point apercevoir tous les inconvéniens, les abus et les dénis de justice auxquels le régime actuel expose les étrangers dans les pays d’Orient.