Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divers ouvrages de couture, de lingerie, de lessivage, de service intérieur ; le système suivi est le même que dans le work-house voisin. La maison est tenue avec une grande propreté et une discipline sévère, et les diverses installations en sont remarquables : la boulangerie, la buanderie, les cuisines, les appareils de chauffage à vapeur. Des prêtres catholiques, des chapelains, des ministres des différentes sectes réformées, visitent de temps à autre l’établissement et font aussi leur tournée régulière dans toutes les autres maisons des îles. Le dimanche, le service religieux est célébré, et il est accompagné d’un sermon, après quoi l’on fait aux prisonniers ces distributions de bibles, de livres de piété et de morale, dont toutes les sectes protestantes sont coutumières. Il n’y manque non plus aucune de ces mille petites brochures religieuses auxquelles on donne volontiers des dehors inattendus et des titres alléchans pour forcer les récalcitrans à les lire.

C’est au pénitencier de Blackwell que purge sa peine, depuis trois ans, le fameux Tweed, un des chefs de la bande redoutée de Tammany, qui menait les affaires et le parti démocratique à New-York avant l’entrée en fonctions de la dernière municipalité. Cette société politique est ancienne, en partie secrète ; elle a des rites à elle, et l’origine en remonte aux premiers temps de la révolution américaine. Tweed, qui en était un des inspirateurs les plus actifs, en même temps était inspecteur des parcs de la ville et chargé de tous les travaux d’embellissement de cette orgueilleuse capitale, qui prétend dépasser Paris. Cet aimable fabricateur de jardins empochait le prix des arbustes. Ce devaient être les spécimens d’une flore bien rare, puisqu’il n’avait pas volé moins d’une centaine de millions de francs quand on se décida à mettre la main sur lui. Fort de la connivence des politiciens et de tout le parti de Tammany, il comptait sur l’impunité ; il fut tout étonné de se voir juger et condamner. Pendant ce temps, le principal de ses complices, mieux avisé que lui, prenait la clé des champs et venait vivre luxueusement à Paris du fruit de ses ignobles rapines. La campagne contre Tweed fut commencée et conduite avec beaucoup d’habileté par l’honnête directeur du New-York Tribune, feu M. Horace Greeley ; il n’épargna pas même sa bourse dans cette salutaire et vigoureuse poursuite, que les gens de bien indignés réclamaient depuis si longtemps. La municipalité qui était alors aux affaires, et qui avait laissé falsifier ses registres, dilapider les fonds de la ville, fut avec Tweed jetée honteusement à la porte.

Au pénitencier, on a eu pour cet homme, hier si haut placé, quelques ménagemens : il occupe pour deux ans encore une cellule à part ou plutôt un véritable appartement au second étage, y vit seul avec son secrétaire, a le droit de se promener librement dans les