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des forçats. On les occupe dans l’île et dans les îles voisines à des travaux de carrière, de route, de jardinage, de terrassement, de muraillement, de quais. Ils rentrent le soir en rangs serrés, deux par deux, marchant au pas, traînant une lourde chaîne de fer dont le bruit métallique s’entend de loin. Quand on les regarde trop attentivement, ils jettent sur vous un œil oblique, méchant, et marmottent entre leurs dents quelque mauvaise parole ; c’était de même jadis dans nos arsenaux maritimes quand on visitait les bagnes. Malgré la surveillance active, incessante, à laquelle ils sont soumis, beaucoup parviennent à s’échapper. Ils se cachent à fond de cale du bateau qui les ramène, s’enfuient à la nage, trompent de façon ou d’autre l’œil du gardien. Il est rare qu’on les reprenne, car, ici comme partout, le peuple met une certaine connivence à favoriser l’évasion des prisonniers. Aussi a-t-il été question de transférer le pénitencier à l’île de Hart, dans le Sound. On est là à 16 milles de New-York et sur un bras de mer qui a, sur ce point, plus de 1 mille de large dans les deux sens ; ce n’est plus la rivière de l’Est.

Les prisonniers qui ont un état, tailleurs, cordonniers, charpentiers, forgerons, peintres, sont occupés dans l’établissement. On en emploie aussi un bon nombre dans la boucherie, la boulangerie, les cuisines. Il est difficile de voir une prison mieux établie pour l’hygiène et l’installation de ses habitans. De hautes et épaisses murailles de granit, crénelées, lui donnent bien un faux air de forteresse du moyen âge, et la font ressembler à l’un de ces lourds palais guelfes ou gibelins que l’on voit à Florence ou à Sienne ; mais ce n’est là qu’une sorte de décor, et il n’est pas d’établissement correctionnel que les convicts préféreraient à celui-là. Ici aucune réclusion, pas de morne et continuelle solitude, comme dans cet atroce régime cellulaire qui a pris naissance en Pensylvanie et que la plupart des nations européennes se sont trop hâtées d’imiter, alors qu’en fin de compte, après meilleur examen, on le condamnait aux États-Unis. Dans le pénitencier de Blackwell, à l’isolement, régime toujours fatal au prisonnier, on a substitué la vie au grand air, sur des îles couvertes d’une végétation pittoresque, le travail surtout, — non le travail solitaire, qui fatigue et épuise, mais le travail en commun et autant que possible au dehors, le travail qui élève et ennoblit l’âme en même temps qu’il fortifie le corps. Il serait à désirer qu’en d’autres pays on imitât sur ce point la municipalité de New-York. On parle de moraliser les prisonniers en les occupant utilement ; voici un exemple de ce qu’on peut faire en choisissant un site convenable et en créant des travaux pour les condamnés. Nul doute que les choses ne se passent de cette façon à la Nouvelle-Calédonie.

Le département des hommes, dans le pénitencier de New-York, est entièrement distinct de celui des femmes. On occupe celles-ci à