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y avait quelques folles furieuses, dont une, prise d’une attaque subite d’hystérie, s’accrochait aux barreaux de fer d’une fenêtre et les secouait violemment. Elle nous injuriait, nous poursuivait de ses attaques, les yeux hors de l’orbite, la face injectée de sang, la bave aux lèvres. On avait hâte d’échapper à ce spectacle navrant.

Le système de traitement en usage dans la nouvelle maison que nous venions de parcourir nous a semblé être le même que celui du grand hôpital voisin. Laisser les fous libres d’aller, de venir, de se promener dans les longs couloirs de l’asile où on les reçoit, leur faire même, quand c’est possible, prendre au dehors quelque exercice, les amuser par des lectures, des danses, des chants, des exhibitions diverses, la vue d’un paysage gracieux, enfin leur imposer, quand faire se peut, une légère occupation, tels sont les principaux moyens de traitement partout préconisés aux États-Unis. Trouver aux hommes un travail convenable, suivi, est chose assez difficile. Avec les femmes, c’est plus aisé ; on a l’avantage des travaux de couture, qui leur sont familiers ; on les distrait par quelque occupation de ce genre. Certains travaux de domesticité, de cuisine, d’intérieur, sont également propres aux femmes et aux hommes. Enfin on peut essayer d’occuper ceux-ci au dehors dans quelques opérations de jardinage, de terrassement, et même les laisser libres quelquefois de remuer le sol à leur guise. On montre dans l’île de Blackwell un petit fortin qui a été ainsi bâti par un soldat. On a laissé le pauvre homme édifier en toute liberté ses murailles, ses retranchemens, ses fossés, et percer ses meurtrières, en souvenir d’un long siège auquel il avait pris part pendant la guerre de sécession, et à la suite duquel il était devenu fou. On a respecté son ouvrage, que tout le monde connaît à New-York. On voit ce fort de la rivière de l’Est, quand le steamer rase l’île. Il en occupe l’extrémité nord, et on l’appelle the crazy man’s fort, le fort du fou.

Pratiquer l’internement le plus mitigé, gêner le moins possible les fous dans leurs mouvemens et recommander, toutes les fois que cela se peut, leur traitement à domicile ou dans une maison privée, et non dans un asile commun, voilà quelle nous a paru être en somme la double doctrine non-seulement des établissemens que nous avons visités, mais encore des principaux aliénistes américains. Cette doctrine n’est-elle pas en pareil cas à la fois la plus rationnelle et la plus équitable ? Elle met surtout en jeu cette bienveillance pour autrui, ce respect de la personne humaine dont il ne faut jamais se départir.


III. — LE PENITENCIER.

La ville de New-York possède cinq prisons pour les prévenus qui n’ont pu fournir caution ; celle des Tombes, dans le premier district,