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envoyé un paquet de brochures et de livres religieux, ils les lurent et les relurent comme s’il se fût agi de romans.

La plupart des grandes villes de l’Union ont, comme New-York, leurs invalides, leurs maisons de retraite pour les soldats ; mais nous doutons qu’aucune d’elles loge ces citoyens si méritans dans une situation plus pittoresque, plus hygiénique et plus confortable. L’île de Ward était naturellement désignée pour recevoir, entre tous ses établissemens de charité, le home des braves défenseurs de la patrie.


II. — L’HÔPITAL DES FOUS.

Passer de l’asile des ivrognes à celui des fous, c’est pour ainsi dire ne pas changer de maison. L’ivresse habituelle ne produit-elle pas des lésions du cerveau, n’amène-t-elle pas la perte de l’intelligence ? L’édifice dont nous sortions avait des allures de villa, celui dans lequel nous allions entrer est de construction imposante ; il a bien l’aspect monumental, la hauteur d’étages, les amples dimensions qui conviennent à un établissement de cet ordre, voisin d’une ville de 1 million d’âmes, toute livrée aux affaires, troublée, remuante, diversement peuplée. Une ville comme New-York fournit annuellement, hélas ! un nombre considérable d’aliénés, il faut être prêt à les recevoir.

Munis de notre permission, nous frappâmes à la porte de l’établissement, qui se dresse à une faible distance de l’asile des ivrognes, et qui attire de très loin les regards. On nous introduisit dans une salle d’attente, où nous déclinâmes notre nom, qu’on inscrivit sur un registre ; puis le directeur appela un des chefs-gardiens qui nous fit visiter en détail toute la maison. La propreté de l’établissement nous surprit, nulle part la moindre souillure. Les fous sont dispersés sur trois étages, et se promènent librement dans de longs corridors. Aucun fou furieux, aucun cri discordant, au moins pour ce jour-là. Ils portent presque tous l’uniforme de la maison, une veste et un pantalon de toile bleue. Nulle déchirure, nulle tache aux vêtemens ; la figure, les mains, sont lavées, les cheveux peignés. La plupart vont et viennent par groupes ou isolément. Ils ont l’air résigné, et leur allure rappelle un peu celle des fauves qui sont en cage. L’un regarde avec obstination par une fenêtre grillée le paysage environnant, qui est splendide ; il a une tête inspirée, la chevelure abondante, l’œil en feu : c’est un jeune homme de vingt-deux ans, beau comme un Adonis. Il est tombé amoureux d’une jeune femme, et cet amour sans espoir l’a conduit peu à peu dans cet asile. Il attend depuis six mois, toujours à la même place, la venue de sa belle, ne prononce pas un mot, sonde l’horizon, il attend. Que se passe-t-il dans cette tête et qui nous dira de quelle