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l’Allemagne a été moralement unie, aussi longtemps que la loi a été appliquée sur un terrain favorable et qu’on en a fait un usage modéré et bienveillant, elle a été regardée par tous comme un bienfait. Toutes les maisons s’ouvraient devant, les inspecteurs officiels et écoutaient leurs avis avec déférence. Nous avons ici un exemple de la déviation que, sous l’empire des circonstances, peuvent subir les institutions humaines. Les dispositions qui, de 1794 à 1866, n’avaient soulevé aucune plainte sont tout à coup devenues oppressives. En Pologne, dans le Slesvig, en Alsace-Lorraine, on a vu subitement se produire du côté de l’état les mêmes récriminations sur la langue de l’enseignement, sur les heures accordées à telle ou telle étude, sur la tendance des directeurs et des maîtres ; on a vu éclater la même guerre de programmes et d’arrêtés scolaires. Ce qui a singulièrement ajouté à la difficulté, c’est le caractère patriotique et politique dont l’enseignement allemand a pris l’habitude : s’il se bornait à transmettre les connaissances et les sentimens qui sont le patrimoine commun de l’humanité, il ne rencontrerait aucune résistance insolite ; mais il veut maîtriser au profit de l’état l’imagination et les penchans de l’enfant. L’école, se faisant instrument de conquête et d’assimilation, soulève autour d’elle les passions de la lutte ; elle ne peut rien souffrir à côté d’elle. Déjà en 1866 cet esprit d’exclusion commençait à se faire jour. « Une école romanisante de jésuites, écrivait alors Thilo, une institution francisante pour la soi-disant bonne société, sont parmi nous, en Allemagne, des établissemens aussi déshonorans et aussi absurdes que le seraient, dans une contrée produisant une noble race de chevaux, des haras destinés à élever des rosses[1]. »

J’ai dit en commençant que je voulais borner ma tâche au rôle de narrateur. Cependant, avant de finir, il m’est impossible de ne pas jeter un regard sur l’enseignement français pour voir quel profit il peut tirer de tout ce qu’on vient de lire. On doit, je pense, faire une distinction entre l’action politique et l’action patriotique que peut exercer l’école. Du côté de la politique, en supposant même que cela fût désirable, on ne saurait songer un instant à réaliser en France cet énergique ensemble de mesures que nous venons de décrire. Le premier empire avait rêvé quelque chose de semblable ; mais le temps lui manqua, et, quand même il aurait eu le temps, on peut douter qu’il y eût réussi. Aujourd’hui notre enseignement primaire et secondaire, image fidèle de la nation, est partagé entre des corps qui n’ont ni les mêmes vues sur le passé, ni les mêmes idées sur l’avenir. Au moins devrait-on chercher à contenir dans les

  1. Ouvrage cité, t. V, p. 88.