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types des mythes grecs qui depuis trois fois dix siècles brillent au ciel de l’art. Certes Beethoven à son clavecin ou Auber en habit d’académicien serait moins décoratif qu’Orphée ou qu’Amphion, la cithare a des formes tout autrement élégantes que le piano à queue ; mais ne peut-on pas rajeunir ces figures antiques, soit en les interprétant d’une façon moderne, comme l’a fait M. Baudry dans ses Muses, soit en les ressuscitant par l’étude profonde de leur type ? De plus, la mythologie est assez riche pour qu’on puisse à l’infini y trouver sinon des figures inconnues, du moins des scènes nouvelles. L’Iliade, la Théogonie, les Métamorphoses suffisent à cela. Il est désespérant de voir dans la même salle, à dix mètres l’un de l’autre, ce même sujet d’Orphée et d’Eurydice à la sortie des enfers, peint, le premier, par M. Baudry, le second par M. Delaunay. Sans tomber non plus dans des symbolisations excentriques, comme ce sculpteur du nouvel Opéra qui a personnifié par quatre figures de femmes le gaz, la bougie, l’huile et la lumière électrique, il est permis de créer certaines allégories où peut s’accuser l’originalité de l’artiste.

Malgré tout, nous nous refusons à croire qu’il faille prononcer l’oraison funèbre de la grande peinture dans cette France qui est depuis deux siècles la patrie des peintres. Nous pensons qu’il y a encore des artistes qui ont l’amour du style et le mépris des sentiers battus. Il en est plusieurs qu’on pourrait citer, M. Puvis de Chavannes entre autres. On s’est étonné à juste titre que l’architecte du nouvel Opéra n’ait pas confié quelque travail important à cet artiste qui le premier de tous est revenu aux principes de la peinture décorative dans la Paix et la Guerre. M. Puvis de Chavannes était digne de lutter avec M. Paul Baudry. S’il n’a pas son dessin impeccable et sa vive couleur, il n’a pas moins que lui le sentiment du grand style, et il a des qualités de simplicité qui manquent quelquefois à celui-ci. Il est vrai que M. Puvis de Chavannes n’appartient pas à l’école de Rome, ce qui est, paraît-il, un crime irrémissible. On va bientôt entreprendre la décoration du Panthéon, cette idée si souvent reprise et si souvent abandonnée. Espérons qu’une pareille œuvre ne sera pas exclusivement livrée à une école qui a certes donné de très grands peintres, mais loin de laquelle se sont aussi créés et développés de puissantes originalités et de vigoureux génies, comme Eugène Delacroix. Espérons que la décoration du Panthéon, à laquelle auront été appelés, sans parti-pris d’école, les peintres qui ont le talent et la volonté, M. Paul Baudry en tête, sera une œuvre d’une tout autre signification pour l’art que le nouvel Opéra.

Henry Houssaye.