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en vert tendre, Euterpe en rose, Uranie en blanc, Terpsichore en bleu, Polymnie en lilas. Il y a une harmonie et une fraîcheur incomparables dans ce concert de tons clairs. Au premier plan, tenu tout entier dans des teintes plus discrètes, Castalie, la fontaine poétique, est personnifiée par une jeune femme nue, étendue à terre, la tête couronnée de roseaux. La nymphe laisse tomber de son urne un filet d’eau cristallin qui va bientôt former la source sacrée ; sur ses bords folâtrent des amours ailés et des génies enfans. Celui-ci emplit une coupe d’or, celui-là tresse une guirlande de fleurs aquatiques ; un autre lutine un beau cygne et l’empoigne à pleins bras par son long cou blanc. C’est d’une grâce exquise.

Dans les croyances primitives, les poètes marqués du sceau divin étaient les prophètes des dieux, les civilisateurs des peuples, les initiateurs de l’humanité. M. Paul Baudry a symbolisé cette grande idée dans une toile qui fait pendant au Parnasse. Là-bas, c’était le panthéon mythologique ; ici, c’est le panthéon idéal. Au fond se développent les grandes lignes d’un édifice d’ordre dorique, l’ordre le plus ancien de l’architecture grecque. Sur les marches de marbre apparaît le vieil Homère, le grand aveugle, dans une tournure d’apothéose. Les haillons du rhapsode mendiant sont tombés pour faire place à un pallium d’un blanc éclatant, le bâton s’est transformé en un long sceptre d’ivoire. Homère tient dans sa main gauche un rouleau de papyrus : l’Iliade et l’Odyssée, auxquelles Alexandre donnera plus tard une cassette d’or et qui resteront dans la mémoire des hommes, comme le premier et le dernier livre. Au-dessus de la figure statuaire d’Homère plane la Poésie, portant la lyre et déployant de vastes ailes d’azur. À gauche, on distingue ou plutôt on ne distingue pas un groupe très confus. C’est, paraît-il, Pindare et un vainqueur aux jeux isthmiques, chargé du trépied sacré. Il symbolise, dans la symbolique de M. Baudry, l’alliance de la beauté plastique et de la poésie lyrique. Près de ce groupe, voici Polyclète avec sa masse de sculpteur et la maquette d’une statue de Minerve. Sur le premier plan s’avance Achille, figure svelte et nerveuse, pleine de mouvement et de fierté ; mais pourquoi le peintre a-t-il marqué le type arabe sur ce visage de héros grec ? Il brandit épée et javeline, et s’élance en avant, irrité et impétueux, comme pour venger la mort de Patrocle. Tel le héros devait être quand il courait à la poursuite d’Hector sur les bords du sinueux Scamandre. De l’autre côté d’Homère, car la composition, très embrouillée dans les détails, est symétrique dans l’ensemble, Polygnote en chlamyde verte, adorable type androgyne qui rappelle un peu l’Apelles de l’Apothéose d’Homère, personnifie la peinture, Platon, tout en rouge, la poésie, et Jason la navigation. Au premier