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révolutions sur la littérature, — ensuite l’action directe de quelques hommes dont le génie est en partie l’expression de cet état de société, en partie le libre produit de leur individualité, mais dont les idées, le talent, les procédés nouveaux, remuent profondément leur temps, soit par les imitations qu’ils encouragent, soit par les contradictions qu’ils suscitent. Quant à l’influence du critique qui vient après coup les louer en ceci, les blâmer en cela, leur prodiguer des éloges qui ne sont pas toujours sincères ou des censures qui ne sont pas toujours impartiales, j’estime qu’elle se réduit à fort peu de chose, et qu’elle n’a pas d’action appréciable sur le développement d’une littérature. Boileau a pu réconforter Racine dans les déboires de ses luttes avec les poètes médiocres auxquels on le comparait ; mais ce n’est pas lui qui a procuré les préférences de la postérité à la Phèdre de Racine sur la Phèdre de Pradon. L’équitable avenir aurait suffi pour cela. On s’exposerait donc à faire fausse route en cherchant à déterminer l’influence que Sainte-Beuve a pu exercer sur le mouvement littéraire du siècle, depuis 1830 jusqu’à 1870, autrement que par la méthode qu’il a inaugurée dans la critique.

C’est à juste titre en effet que Sainte-Beuve se piquait d’en avoir une qui lui fût propre. « Ceux qui me traitent avec le plus de faveur, a-t-il écrit, ont bien voulu dire que j’étais un assez bon juge, mais qui n’avait pas de code. J’ai une méthode pourtant, et, quoiqu’elle n’ait point préexisté, et ne se soit point produite d’abord à l’état de théorie, elle s’est formée chez moi de la pratique même, et une longue suite d’applications n’a fait que la confirmer à mes yeux. » Cette méthode, quelle est-elle ? Il a pris soin assez inopinément de la définir dans un article qui a pour titre : Chateaubriand jugé par un ami intime, et qui est inséré au tome troisième des Nouveaux Lundis. Voici comme il la résume : ne pas séparer la production littéraire du reste de l’homme et de son organisation, et, lorsqu’on se trouve en présence d’un homme supérieur ou simplement distingué par ses productions, l’étudier d’abord dans son pays natal et dans sa race, dans les caractères physiologiques de sa parenté la plus proche, de sa mère, de ses sœurs, parfois de ses enfans, — déterminer ensuite les particularités de ses études et de son éducation, puis le premier groupe d’amis et de contemporains dans lequel il s’est trouvé au moment où son talent a éclaté, a pris corps et est devenu adulte, — puis, ces premiers jalons étant plantés, et le terrain étant ainsi circonscrit, se poser à soi-même (sauf à n’y répondre parfois que tout bas) au sujet de l’auteur qu’on étudie certaines questions : que pensait-il en religion ? comment était-il affecté du spectacle de la nature ? comment se comportait-il sur l’article des femmes, sur l’article de l’argent ? était-il riche ? était-il pauvre ? quel était son régime, quelle sa manière journalière de