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prendre les modes et les vices du dehors. » Telle est à peu près l’idée que les Allemands se font de ce côté de leur caractère. Je n’ai pas à examiner en ce moment jusqu’à quel point elle est juste, ni à voir quel peut être le principe de ce penchant à l’imitation, ni à rechercher si nos voisins étaient assez riches de leur propre fonds pour avoir le droit de regretter les emprunts qu’ils ont faits jadis aux nations étrangères. Ce qui est certain, c’est que l’enseignement, tel qu’il est organisé aujourd’hui, se propose de combattre ce manque de personnalité. Quand l’école Victoria fut projetée, le troisième motif que l’autorité scolaire fit valoir devant le conseil municipal de Berlin était tiré de cet ordre d’idées : « éveiller la conscience de la nationalité, en faire sentir le prix et la signification, montrer aux jeunes filles dans la langue et dans la littérature allemandes les élémens les plus importans d’une vraie culture féminine, les préserver par là des influences étrangères, funestes au développement national. » Cette idée, qu’il ne faut pas se contenter d’éveiller l’amour de tout ce qui est allemand, mais qu’il faut chercher à dégoûter les jeunes esprits de ce qui est étranger, revient fréquemment dans les livres. De là un certain penchant au dénigrement qui contraste avec la rapide assimilation dont il était parlé tout à l’heure. Il m’a semblé qu’on était généralement plus juste pour le passé que pour le présent, et pour les nations éloignées que pour les contrées voisines. La France (on le pense bien) n’est pas dépeinte de manière flatteuse ; mais, si c’est une consolation pour mes lecteurs, je leur dirai qu’elle n’est pas la seule maltraitée. Il y a plus d’une manière d’altérer la vérité : celle qu’on pratique contre nous consiste généralement dans l’omission des faits qui pourraient être à notre honneur et dans les fausses interprétations. Comme il s’agit par exemple de nous faire passer pour les éternels ennemis de la paix, on suppose que l’ambition a été le motif de tous les événemens de notre histoire. J’ai assisté dans l’une des deux gewerbe-schulen (écoles professionnelles) de Berlin à une leçon sur les causes de la révolution française : le professeur mettait au nombre des causes principales le mécontentement de l’armée, et particulièrement des officiers, irrités de voir que la France n’exerçait plus en Europe la même suprématie que sous Louis XIV. Il est difficile de réfuter directement une pareille assertion, mais il n’en est pas moins certain que c’est travestir les sentimens d’une génération plus remplie de rêves cosmopolites et plus occupée de droit idéal que de prépondérance militaire.

La façon dont est présentée notre histoire intérieure ne doit pas non plus nous concilier beaucoup de sympathie. J’ai entendu à l’université de Leipzig une leçon sur les événemens qui se sont passés entre le 10 août 1792 et la mort de Louis XVI. C’était le cours du