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cette statue, « signe charmant de douce influence regagnée et socialement établie, reçue avec reconnaissance en protectrice et en patronne. » Il n’a garde de troubler par une note trop libre et trop retentissante l’harmonie silencieuse qui l’était encore entre les élémens si divers contenus sous la main du despotisme, et comme témoignage de reconnaissance pour ce silence assuré qu’il croit favorable aux lettres, il clôt ou plutôt il suspend en 1855 la série des lundis par un article sur le plan d’études des lycées dressé par M. Fortoul, alors ministre de l’instruction publique. Dans cet article, il confond en un même dithyrambe et le ministre qui venait d’inaugurer le système déjà vivement attaqué de la bifurcation et le prince qui, après s’être prononcé autrefois pour la prédominance de l’élément scientifique dans l’éducation, avait fait preuve d’une si haute impartialité « et s’était montré l’homme de son nouveau rôle et de sa destinée publique, lorsque dans l’œuvre de conciliation il avait laissé faire une si large place à l’opinion opposée. » Ces éloges, auxquels le caractère officiel du journal où ils étaient insérés enlevait peut-être quelque peu de leur prix, étaient la récompense de sa nomination récente, proposée par M. Fortoul, agréée par l’empereur, à la chaire de poésie latine au Collège de France, nomination qui, il faut le dire, avait eu lieu sur la présentation presque unanime du Collège même et de l’Académie des Inscriptions. C’était le 9 mars 1655 seulement que devait s’ouvrir son cours ; mais dès le 8 janvier il croyait devoir interrompre la série de ses lundis pour mieux se préparer à ses débuts de professeur. On sait quelle fut la fortune de ce cours, et qu’il fut entravé dès les premières leçons par les manifestations hostiles de la jeunesse. Comme cette mésaventure est le fait dominant de cette phase de la vie littéraire de Sainte-Beuve, comme l’affront public qu’il reçut ce jour-là est l’explication du tournant décisif qu’il prit à cette époque, il faut s’arrêter un moment à en marquer les causes et les effets.


II

Depuis qu’il se connaissait lui-même, Sainte-Beuve avait toujours été en secret très amoureux de la popularité, — non pas de cette popularité bruyante qui entraîne la foule sur les pas d’un Lafayette ou d’un Prim, mais de cette popularité élégante que d’éclatans succès assurent dans le monde poli et lettré. C’était l’amour de cette popularité qui lui avait fait renoncer avec tant de regrets à sa prétendue vocation poétique, et qui lui avait inspiré un si mauvais vouloir contre ses anciens maîtres ou collaborateurs du Globe, dont la politique avait fait retentir les noms de bouche en bouche. Une secrète amertume s’était toujours amassée au fond de son cœur