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Qu’on juge de la décrépitude d’une race qui n’invente rien, n’apprend rien, ne perfectionne rien et sait tout au plus conserver quelques-uns des arts rudimentaires de l’humanité primordiale.

Néanmoins nous ne regrettons pas notre laborieuse expédition. N’est-ce donc rien de planter sa tente, ici comme à Sichem, sur la terre auguste qui porta celle d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, et qui garde encore leurs cendres ? Ici dorment ces premiers dépositaires, choisis pour transmettre au monde la pure tradition monothéiste. Ici vaguaient les Enacim et les Réphaïm, races de géans, races primitives, qui vivaient sans doute de la vie sauvage dans les forêts que cette terre, soumise à d’autres conditions atmosphériques, nourrissait aux époques mythiques. Ces souvenirs reculés et merveilleux écrasent et exaltent l’imagination, perdue dans les prestiges de ce passé sans pareil : elle ressent quelque chose de cette « horreur grande et ténébreuse qui envahit Abraham au coucher du soleil, tandis que le sommeil tombait sur lui (Gen., XV, 12). »

Nous avons préféré le home de notre campement à l’hospitalité peu séduisante que le lazaret offre d’ordinaire aux voyageurs. Je comparais tout à l’heure Hébron à un port sur le désert ; ce grand bâtiment de la quarantaine, posté en avant de la ville comme la Santé dans nos rades, ajoute à la similitude. C’est à Hébron que la caravane du Hadj, au retour du pèlerinage de La Mecque, doit purger les germes de contagion qu’elle est toujours suspecte d’avoir puisés aux villes saintes, ces foyers de cholérique et pestilentielle renommée. Il ne faut que les hardes malpropres d’un derviche pour secouer sur l’Occident les terribles fléaux asiatiques. Ici les caravanes d’Égypte, de la Pétrée et du Nedjed déchargent les chameaux, las des interminables voyages au travers de la mer de sable, et emmagasinent les balles de coton et de café. C’est de là que partirait l’aventureux qui, affrontant le khamsin, le vent du désert, les Bédouins et le pénible roulis du dromadaire, irait toucher les rochers de Moïse aux montagnes sinaïtiques, parcourir les régions inexplorées des Wahabites, ou visiter la merveilleuse Pétra, la Palmyre du sud, gardant dans ses gorges solitaires une ville de palais féeriques, de temples taillés dans le roc par des mains inconnues.

Que de tentations diaboliques et de mirages sur cette route vague qui s’étend devant nous ! Il y faut, hélas ! laisser courir nos rêves et leur tourner le dos pour rentrer dans les limites que nous nous sommes assignées. Nous remontons à cheval et reprenons le chemin de Jérusalem, tandis qu’on abat nos tentes sur les turbés du cimetière où nous campions. Ces morts d’hier dorment déjà d’un sommeil aussi sûr et aussi profond que le vieil Abraham dans sa grotte. A mesure que nous nous éloignons, les tombeaux nous dérobent la